Extrait du journal
UNE PÉTITION On lira plus loin une sorte de pétition adres sée par quelques conseillers prud’hommes d’Armentières au ministre du commerce. Le ton de cette lettre est touchant par sa naïveté même, et .l’on voudrait pouvoir y répondre autrement que ne sera sans doute obligé de le faire le des tinataire, si toutefois l’usage des bureaux est, en pareil cas, de répondre. Par malheur, autant le sentiment auquel ont paru obéir les auteurs de la lettre est digne de sympathie, autant les moyens dans lesquels ils placent leur confiance pour obvier aux chômages, aux grèves, à toutes les formes et à tous les aspects de la crise in dustrielle, offrent de prise à la critique. Est-il vrai, tout d’abord, que la crise indus trielle qui fait, à n’en pas douter, beaucoup de malheureux, fasse aussi des anarchistes, ou du moins prépare les esprits à recevoir la propa gande anarchiste? Autant qu’on en peut juger par les exemples les plus notables jusqu’ici connus, l’anarchiste militant n’est pas, d’ordi naire, un brave ouvrier auquel le travail man que par des raisons indépendantes de sa volonté et qui, feous la pression de la détresse, dans une sorte de coup de passion, adopte la sauvage doctrine, la confesse et l’applique. Le profes sionnel de la dynamite ou du poignard est plu tôt un garçon cultivé mais dévoyé qui n’a ja mais travaillé de ses mains, un malfaiteur de droit commun qui depuis longtemps a cessé de chercher son gagne-pain dans le travail régu lier, ou un illuminé, un mystique qui jusqu’à la dernière minute, celle qui précède l’attentat, fait sa besogne et trouve sa subsistance. Le point de départ des prud’hommes d’Armentières n’est donc pas tout à fait solide ; mais peu importe, après tout ; car si les ouvriers malheu reux ne vont pas nécessairement ni même fré quemment à l’anarchie, ils ne sont que trop en clins à s’affilier aux autres.formes du mouve ment révolutionnaire, et ce serait rendre service à la société tout entière comme à eux-mêmes que de les en détourner. La journée de huit heures et le minimum de salaire réclamés par les prud’hommesd’Armentières opéreraient-ils ce miracle, à supposer qu’il dépendît du ministre auquel ils s’adres sent de décréter sur l’heure l’une et l’autre? Il faut, pour le croire, cette ignorance de l’écono mie sociale qui est hélas ! — les signataires de notre document le disent au passage — si ré pandue encore dans le monde des travailleurs. Comment n’arrivent-ils pas à comprendre, ce pendant, que la première condition à remplir pour s’assurer des salaires suffisants est de ne pas tuer l’industrie à laquelle ils participent? On voit déjà ce que le protectionnisme a ou trance à fait, sur tant de points du territoire, de nos usines, de nos fabriques. Que serait-ce si la réglementation devenait encore plus. étroite, plus minutieuse, plus générale ? S’imaginer que l’on peut conjurer une crise par l’extension et l’aggravation des mesures qui l’ont causée, c’est, on l’avouera, une singulière illusion. Sans nier que beaucoup d’industriels puissent et, par con séquent, doivent faire davantage, à titre indivi duel, pour les ouvriers qu’ils emploient, nous croyons que l’abus de la législation, l’uniformi sation absolue des conditions du travail, en dé pit des inégalités que le climat, la région, le capital engagé, le rendement même et la valeur économique du labeur fourni mettent entre les diverses industries ou entre les différents cen tres d’une même industrie, constituent autant de moyens infaillibles pour achever la ruine de toutes les industries ; et c’est alors que se pose rait, pour les ouvriers qui en vivent, un pro blème autrement douloureux que celui contre lequel ils se débattent aujourd’hui. Mais les prud’hommes d’Armentières n’en sont pas à entrer dans ces vues : ils croient fermement qu’un mot, un signe du ministre auquel ils écrivent peut tout transformer selon leurs désirs. Pourtant, ils se plaignent d’avoir été déçus, depuis vingt-cinq ans, par les députés qu’ils ont élus. Aucune des promesses faites, disent-ils, n’a été tenue. Ils s’en étonnent et, au moment même où ils confessent leur sur prise douloureuse, ils demandent aux pouvoirs publics de leur faire une promesse de bonheur universel, immédiat et certain I Double erreur, imputable à un même état d’esprit. Ils ont eu tort de choisir pour' députés des boulangistes, des socialistes, qui faisaient briller à leurs yeux les plus chimériques espérances, au lieu d’élire de braves gens qui, sans répandre les promesses mirobolantes, eussent travaillé utilement au bien général. Et ils ont tort aujourd’hui de réclamer du gouvernement ce qu’il ne peut donner et ce qu’à la différence des faiseurs et des exploiteurs de la crédulité publique il s’abstient soigneusement de promettre. Dans un cas comme dans l’autre, les prud’lioromes d’Armentières cèdent à cette disposition si française, il faut bien le dire, qui consiste à rejeter sur autrui le soin de notre propre destinée et à tout attendre de l’organi sation politique. La journée de huit heures, le salaire minimum, ce sont les formules qui ex priment aujourd’hui, après tant d’autres dont l’histoire de l’humanité fait mention, l’éternelle attente et l’éternelle aspiration vers un état meilleur qui se réalisera sans doute en partie par des moyens tout différents et qui, sans doute aussi, ne sera jamais complètement adé quat à l’idéal caressé par ceux qui souffrent. On ne saurait trop s’appliquer à propager ces véri tés d’expérience. Elles ne porteront pas avec elles...
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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