Extrait du journal

Une bien jolie petite princesse. Toute blonde, un peu pâle, elle levait sur vous deux yeux clairs et ingénus d'une nuance compliquée de bleu et d'or qui en rendait l'éclat presque insoutenable. Les traits du visage étaients fins et l'expression du sourire avait une grâce incomparable, surtout lors que la petite princesse souriait d'étonnement, (ce qui lui arriva souvent, hélas ! mais pas longtemps) car, alors, l'arcade élégante des sourcils s'élevait en une sorte de courbe infini ment charmante, tandis que les yeux, un peu dilatés, rayonnaient en toute sincérité. Ordinairement, la petite princesse était vê tue d'une simple robe 'noire très modeste et sans ornements, car elle n'était pas riche, et, de plus, elle était bien malheureuse. Son père, le lieutenant Philippe-Alexandre était à la retraite depuis deux ans, lorsque je le connus ; et la demi-solde pour deux, c'est bien maigre, surtout si l'on considère (comme disait fièrement ce brave homme) qu'un prince royal doit se tenir dans le monde sur un certain pied. rj Habiter rue Oudinot, dans l'un des quartiers les plus retirés de Paris, mais si bien fré quenté! un appartement de quatre cents francs, composé de deux pièces peu meublées, mais très propres ; porter, été comme hiver, une sévère redingote noire, à la vérité bien lustrée et adroitement reprisée, mais fleurie d'un bout de ruban rouge ; avoir pour coiffure un antique chapeau de soie vingt fois rebordô par la patiente main de la petite princesse ; aller fumer quelques cigarettes; en se prome nant, du côté du boulevard des Invalides; faire par jour deux petits repas dont le menu ne ressemblait que de loin à celui des puis sants de la terre ; se coucher à dix heures, après avoir paternellement fait un cent de piquet avec sa fille, voilà ce que PhilippeAlexandre appelait « se tenir dans le monde sur un certain pied. »...