Extrait du journal
Elle n'y manque jamais, ma bonne tante. Elle a glissé dans sa lettre quelques brins d'herbe de la grande pelouse. Un grand signe d'amitié ! Elle n'oublie pas le temps où je me roulais, comme une petite bête heureuse, sur la verdure fraîche. Il paraît que « c'est d'hier » ; et je ne me souviens pas. Mais autour des brins d'herbe, mon imagination retrouve tout le jar din, bouquet doré au-dessus des brumes de la rivière, embaumé, quand juin finit, par des buissons de roses rouges ; et la petite maison qu'un fruitier bien garni, le paradis de mon enfance, emplit d'aromes sucrés ; et notre Catherine, alerte, glissant sur ses pantoufles ; notre Catherine, acharnée à lire les livres nouveaux, même ceux qui ne sont pas pour les vieilles demoiselles ; ou guettant les flocons du rapide de Paris, entre le clocher et la ferme Housselet, sur la colline. « Midi treize ! Annette, je meurs de faim! » • La lettre de tante Catherine, mal gré l'été qu'elle aime et qui vient d'éclater, est une lettre triste et vio lente. I « Mon ami, je finirai par ne plus ouvrir tes journaux. J'y trouve, chaque matin, une pointe qui me blesse ; le récit d'une vilenie qui me donne des noirs jusqu'au déjeuner. Vous vous accoutumez, dans vos villes, à des horreurs. Vous me rap pelez le vieux Félix, des Bessons, qui, à partir de la lune de mai, dort sur son fumier pour avoir, dit-il, moins de chaleur et meilleur air. Je me demandais depuis longtemps si votre justice vaut beaucoup mieux que vos voleurs. Aujourd'hui, je suis assez en colère pour me répon dre que non. Ils sont mous, tes ju ges, mon enfant. Ils manquent de cœur. De qui est ce vers que ton père citait toujours sur les femmes sans pudeur et les hommes sans courage ? D'Emile Augier, n'est-ce. pas? Ton cher papa n'entendait rien à la poésie pure. Mais quelle âme ! Et quelle doctrine ! » On vient d'acquitter, à l'un de vos tribunaux, des garçons de café et des dames de mauvaise vie, tous complices, qui faisaient payer cinq cents francs à des touristes anglais deux verres de liqueurs mélangées; des « queues-de-coq », comme vous dites, et un gobelet de bière. Tu comprends bien que je ne plains pas ces voyageurs fêtards et luxu rieux ! Leur mésaventure est pain bénit; Je ne crois pourtant pas que ces fripons de garçons de café aient été les instruments de la vindicte divine ; et les magistrats qui les ont renvoyés, tout blancs, sous prétexte que les victimes, retournées dans leur pays, n'étaient plus là pour soutenir leurs plaintes, sont de grands sots, et de grands poltrons. Ils tiennent ces bonnes canailles, et ils les lâchent, à cause de la foôrme? Voilà des benêts, et des Bridpisons. Quand Mitsou vole de la viande ou que Truc me tue un lapin, tudieu, ils savent ce que cela coûte ! Et ma petite maison est en ordre; Ces acquittés-là. vont donc pouvoir voter, mon ami ? Grand bien nous fasse, mais j'en doute. Ton fameux Stendhal parlait de majorités crot tées. C'est le mot. * » Quelle indulgence, mes neveux ! On brûle, on assomme, on affame des enfants ; les ménages se dislo quent à coups de pistolet ; et cela vous plaît ainsi. Chez les Anglais, il n'en coûte rien de couper une dan seuse dans une malle ; et chez les Belges, il n'en coûte guère de noyer une dame dans la baignoire* Vous encouragez le crime, mes bons en fants. Et vous écœurez la vertu. C'est de cela, surtout, que j'ai de la peine. » Je ne suis pas méchante ; je le suis moins que je n'en ai l'air; sûre ment ; et je ne suis pas gourmande de têtes coupées. Mais je voudrais bien, comme Alceste, qu'on fît du mérite un peu de différence. Sais-tu ce qui, dans ce verdict, a choqué un de nos philosophes? C'est qu'il ne vaut rien pour le tourisme. Je ne suis pas sensible à cet argument. : J'en ai d'autres. Je ne suis pas comme vous qui criez : t Economi que d'abord! » J'ai du sentiment Je n'aime pas qu'on ait l'air de se moquer de la justice, et des braves gens. Je sais que le bon Dieu arran gera cela plus tard et mettra comme il faut les méchants en pénitence. Mais il n'est pas mauvais que les hommes commencent. » Je connais encore, dans les vil lages de par ici, et en dépit des roman? paysans, de braves gens qui ne feraient pas tort à leur voisin d'un œuf sur trois douzaines. J'en sais qui, dès le premier cocorico, sont au sillon, quand les étrangers en goguette montent chez les de moiselles fardées, et qui mettent une semaine à gagner ce que tes garçons de restaurant se font de pourboires en un jour. Ces gens-là seraient assez contents qu'on mît en srison les bandits. ROBERT KEMP. (Voir la suite à la deuxième page)...
À propos
Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.
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