Extrait du journal

A genoux sur mon lit, l'oreille appuyée contre la mince cloison, j'écoutais, le cœur sautant de curiosité, presque d'angoisse. Ce soir-là, j'étais rentré de très bonne heure, avant eux, mes voisins de cham bre; j'avais ouvert ma porte et j'étais des cendu aussitôt au bureau de l'hôtel, re mettre ma clef à son clou, De cette façon, ils ne se méfieraient pas, me croiraient sorti et parleraient plus haut que la veille. Le peu que j'avais entendu bourdonnait encore dans ma tête, comme un essaim de mouches folles. Les choses se passèrent ainsi que je prévoyais. Vers minuit, ils rentrèrent: l'homme dit, tout en poussant le verrou : — Enfin!... Il me semblait que cette pièce ne finirait jamais... Sont-ils bêtes, les Parisiens, de s'amuser à de pareilles inepties ! : Elle ne répondit pas. Un froufrou de soie et le bruit d'un manteau lourd jeté sur un fauteuil... . — Attends, ma chérie... que je t'aide... Il la déshabillait." " — Qu'est-ce que tu as, dis, ma femme bien aimée ? Parle-moi, parle à ton mari qui t'adore, à ton ami, à ton frère..i parle, voyons....tu sais que tu lui dis tout,.à ton frère.;. Quoi? On est triste encore aujour d'hui... On est malheureuse.;. Non, non, ; pas- ces yeux-là., pas ce front-là, mon amour... Allons, un peu de courage !... Tiens, regarde... c'est moi qui devrais avoijvjdu chagrin, c'est moi qui devrais souinir le.plus, et tu vois... Elle soupira profondément. Il se tut,, continuant sa besogne galante. Tous les détails du coucher arrivaient avec netteté jusqu'à mon oreille. Ils se mirent, au lit l'un après l'autre, à l'intervalle habituel. -- Viens, lui dit-il, viens là... ta chère tête sur mon cœur... Maintenant, parle, mon amour... On y pense toujours, donc ? Elle dut faire un signe. —Pauvre petite... pauvre petite femme ! Et pourquoi y a-t-on pensé tant que cela, ce soir?... Je m'en apercevais bien, va, tout le temps du spectacle... — C'est cet acteur... — Lequel ? — Celui qui jouait l'amant de la com tesse... qui se tue... — Oui... eh bien? — Il lui ressemble... — Tu trouves ? Moi pas... — Oh ! si... C'est son regard 1 — Mais il a un regard comme tout le monde... je me demande où tu as les yeux... Quel regard si extraordinaire a4-il ? Oui... extraordinaire... Quand il tombe sur moi, je suis sur le point de m'évanouir... mes jambes s'en vont... mon cœur s'arrête court... ma figure se glace — Mais pourquoi... pourquoi ? — Je ne sais pas... quand j'entends sa voix, même de loin, avant qu'il m'ait aperçue, avant que je le voie, je me mets à trembler... je songe d'abord à partir... et puis je reste... Il ne me dit rien de plus qu'aux autres... et moi je suis obligée de faire des efforts surhumains pour ne pas.... — Pour ne pas ?... — Mon Dieu!... Mon Dieu!... que je suis malheureuse !... — Pour ne pas quoi ?... — Tu me fais du mal... à quoi bon vou loir que je te le répète ?... — Pour ne pas quoi?... — Pour ne pas me jeter dans ses bras... Oh ! mon Dieu!... mon Dieu!... — Tu ne m'aimes plus, dis ? — Si, je t'aime... je t'aime... — Alors? — Mais ce n'est pas la même chose... Lui, il m'attire... c'est un Vertige ; aie pitié de moi, je t'en supplie... — Comment cela t'est-il-venu? -Est-ce que je sais?... La première fois que je l'ai rencontré... oui, la pre mière fois... j'ai senti que j'étais perdue... que cet homme pénétrait dans ma. vie... me dominait... me fascinait... — Je me rappelle... tu ne me l'as pas caché... pauvre petite femme adorée I — Que veux-tu? c'est de la folie... de jour en jour, il te prend ta place... je ne pense qu'à lui... Autrefois, avant, c'était toi, toi seul.., à-peine m'avais-tu quittée, il me tardait que tu reviennes... je fer mais les yeux et je te voyais encore... je me souvenais de tes baisers et de tes ca resses,.. A présent, quel malheur... mon Dieu!... mon Dieu t... C'est lui, rien que...