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L’Écho de Paris, 20 juillet 1891

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L’Écho de Paris
20 juillet 1891


Extrait du journal

les mers lointaines. Nombre de femmes sont de noir vêtues qui garderont toujours le deuil de l'époux disparu et ne se rema rieront point : c'est la coutume de l'île, ce qui étonne surtout au premier abord, c'est l'intelligence des visages, la propreté des costumes, l'affabilité de tous. Ailleurs les Bretons sont siiencieu?, répondent sans empressement aux questions, par monosyllabes ou en phrases difficiles à comprendre, comme si la conversation leur pesait: ici, chacun s'offre à vous ser-, vir, à vous indiquer la route et parle un français pur et sans accent. Les maisons affectent dans leur structure une recher che d'élégance; elles sentent la propreté, et la santé. J'entre dans l'une d'elles. L'hôtesse, de cinquante ans environ, en habit de deuil, a les traits expres sifs et douloureux ; elle m'accueille dans la pièce d'entrée, sorte de salon exo tique garni de nattes, de peaux de bêtes, le bibelot d'Outre-Mer, sur une étagère des boîtes à incrustation de nacre et d'i voire, travail indien: « Vous avez là de jolies boîtes, Madame » — « Ce sont mes pauvres enfants qui^m'apportaient leurs cadeaux à ch'aque voyage » et les larmes jaillissent dé ses yeux. « Vous avez été atteinte dans votre affection ?» — Et aus sitôt elle me conte ses lamentables deuils, ses deux fils, capitaines au long cours, tous deux morts à la mer quatre ans plus tôt, à une année d'intervalle; l'un, enlevé par un coup de mer près du Cap, l'autre perdu corps et bien à l'entrée du Morbihan, de telle, sorte queJes siens.apprirent le dé sastre par les épaves de son navire qui à la marée haute furent portées sur son île natale. Très ému, plein de respect pour ces braves gens, je regagne la barque qui doit me conduire à Port-Navallo et comme le vieux marin hisse la toile, je lui demande anxieux : « Vous avez des enfants?» — « J'ai trois filles. » — « Et des garçons? » —«J'avaisun gars de dix-neuf ans, qui, il y a six ans, à bord du bateau de mon neveu, fut noyé par un gros temps à l'entrée de Saint-Malo ». L'homme dit cela simplement,, presque sans douleur, comme résigné à cette fin de la vie de marin qu'il a risquée cent fois et risquera encore. Moi je, songe à ces jeunes gens arrachés par la mer du pont du navire, roulés dans la vague, luttant de toute énergie, hurlant de désespoir à travers la clameur des flots, apercevant encore les feux du na vire ballotté jusqu'à ce que leurs membres se raidissent et qu'un paquet d'eau les engouffre. De loin, citadins sensibles, nous nous apitoyons au sort des marins perdus dans la nuit noire, nous ne savons ce que c'est que l'existence vraie des matelots, nous ne concevons pas leur danger dans son magnifique.ét quotidien héroïsme, nous n'avons point l'idée de ces familles morcelées et décimées. Aucune n'est exempte de çe tribut humain. A chaque caprice, la mer goulue et vorace avale un père ou un fils, et les fils sans père, et les pères sans fils retournent sans cesse à ces sombres étendues, et la veuve y dévoue ses nouveaux-nés. Le symbole des sirènes se dévoile et s'ex plique à tous ceux qui s'arrêtent devant l'Océan, savent le regarder et l'aiment d'un amour invaincu, dans l'attirance de ses métamorphoses inouïes et de ses courses infinies. HENRY BAVER....

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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