Extrait du journal

Voilà un manœuvre en chômage, avec sa famille. Supposons qu’il soit résolu à quit ter son logement de ville, à rompre avec ses habitudes, à mettre de côté l’amour-propre pour aller à la cam pagne. Supposons encore qu’il trouve — ce qui n’est pas commode — ou une pe tite ferme ou un emploi sérieux dans une ferme. Il reste une grave difficulté à sur monter : c’est qu’on ne s’improvise pas paysan du jour au lendemain. Pour être -paysan ordinaire il faut plus de connaissances professionnel les, plus de savoir faire que pour être un ouvrier ordinaire. Cela parait un paradoxe, car l’ouI vrier se croit volontiers supérieur au paysan. Et, chose plus curieuse, le paysan lui-même est assez porté à s’estimer plus bête et moins cultivé que l’ouvrier de ville. En quoi il a très tort... En effet, malgré l’opinion contraire entretenue par un trop grand nombre, c’est bien le paysan qui est, profes sionnellement, le plus cultivé. Autrement dit, avec le machinisme contemporain, il est plus facile d’ob tenir l’expérience et les connaissances nécessaires pour faire l’un de ccs ou vriers comme il en existe des milliers, que pour faire simplement un paysan fort moyen. Prenez donc un homme de trente ans qui ne connaît rien de rien à l’agriculture, qui ne distingue point un champ de pommes de terre d’avec un champ de raves, qui n’a jamais mis les pieds dans une étable, qui croit que les graines de vers à soie sc sèment comme les graines de choux, qui s’imagine que l’agriculteur n’a, quand vient la saison, qu’à se donner la peine de cueillir les raisins et les fruits qui sont venus tout seul avec l’air du temps... Mettez ce citadin plein de santé à la tête d’une exploitation rurale, mê me d’importance médiocre. Vous ver rez, si intelligent soit-il, qu'il aura besoin de plus de trois mois pour s’initier aux mystères de la culture et de l’élevage, pour tenir la charrue et manier la faux. Au contraire, mettez le même hom me dans la grande industrie. Mettezle devant quelque machine qu’il n’a jamais vue. La moitié du temps, au bout de quelques semaines, il fera tout aussi bien que les milliers de ca marades, les gestes qui lui seront de mandés. On ne s’improvise donc pas paysan. Et ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut devenir propriétaire exploi tant, fermier ou même simple ouvrier agricole à l’année. Conclusions Dès lors, il ne faut pas trop comp ter sur la crise économique actuelle pour favoriser un retour quelque peu massif Vers la terre. Par contre,- cette crise sera pleine d’enseignements pour les ruraux. Elle leur fera mieux toucher ,du doigt que si leur métier comporte bien des ennuis, des aléas et des pei...