Extrait du journal

DANS la belle leçon que Paul Bourget vient de donner sur Théophile Gautier, — analyse pénétrante de son oeuvre, exposé magistral de l'influence et du rayonnement de cette oeuvre, portrait définitif du poète, — un passage nous a, nous, journalistes, qui écoutions la conférence, particulièrement touchés. C'est celui où l'orateur évoque l'existence laborieuse du grand écrivain, asservi au besoin d'argent, plié à l'inexorable nécessité d'écrire, à heure fixe, l'article qui lui fournissait le pain quotidien. « Il accomplit sa tâche courageusement, inlassablement, admirablement, a dit Bourget, car ce romantique avait les plus hautes vertus bourgeoises: le sacrifice aux siens et la probité. » Gautier fut un martyr de la copie. Et la copie était, à cette époque, fort mal payée. Rappelez-vous la détresse de Balzac, suant sang et eau pour assouvir ses créanciers. Et encore les romanciers, ainsi que les dramaturges, appartenaient-ils à la classe privilégiée des lettres.,. Les grandes feuilles et les revues importantes de l'époque s'imposaient d'assez lourds sacrifices pour offrir à leurs lecteurs une oeuvre d'imagination bien signée. Dumas père, Eugène Sue, George Sand, touchaient une rémunération convenable. L'auteur des Trois Mousquetaires jetait l'or par les fenêtres, l'auteur du Juif Errant roulait carrosse, l'auteur de Mauprat amassa une jolie, fortune. Mais le chroniqueur, le critique, l' « articlier », celui qui alimentait, de sa plume infatigable, les colonnes du journal, recevait un salaire plus modeste. Eux, ils étaient les princes, et, lui, l'artisan ; eux, ils...