Extrait du journal

J'AI reçu une visite bien émouvante, celle d'une habitante de la partie du territoire français occupée par l'ennemi. Je n'indiquerai pas — et vous en comprenez les raisons — le lieu où elle résidait. Les Allemands, vindicatifs, usent volontiers de représailles. Sachez seulement qu'elle s'en est évadée au prix, de mille difficultés, après y avoir subi les plus dures épreuves. Cette dame fort distinguée, douée d'un vrai talent de poète, — vous lirez ses vers, — habitait à côté de ses parents, en l'absence de son mari mobilisé, dans la petite ville qui, dès la tin d'août, fut envahie. Le chef du régiment prussien l'arracha de l'ambulance qu'elle dirigeait et, sous l'habituel prétexte d'une agression des civils, l'obligea, elle, son vieux père et ses deux enfants âgés de huit et dix ans, de marcher, avec une partie de la population, en avant des troupes, afin de protéger celles-ci contre le feu des Français. En même temps, les deux maisons qu'elle possédait furent incendiées... Mme X... connut donc à peu près toutes les horreurs de la guerre... Sa connaissance de la langue germanique, et surtout sa fermeté, — le Teuton, prompt à piétiner les timides et les faibles, ressent quelque respect envers qui lui résiste et lui parle froidement, résolument, — réussirent à conjurer un complet désastre... L'énergique et vaillante femme eut le bonheur de ne perdre aucun des siens. Lasse de vivre dans la servitade, sous la menace du vainqueur arrogant, avide de respirer l'air pur de la liberté, elle réussit à franchir la frontière. Elle est venue tout de suite...