Extrait du journal

Deux fois, dans ce même mois, sous des latitudes différentes, devant des jurés différents, les ouvriers ont comparu-. L'incendie, le pillage1, telles étaient les accusations formelles portées contre toute une collectivité qui, exaspérée dans son droit social méconnu par l'égoïsme individuel, réclamait contre l'abus des vexations et le cynisme d'une exploitation indéfinie. A Douai, dans la capitale judiciaire de la région du Nord, c'était, socialement le même jury qu'à Annecy, c'était un jury de classe, représentant uniquement la bourgeoisie. C'est, en effet, un des scandales les plus éclatants de. notre époque que la constitution d'une liste du jury. Les ouvriers en sont exclus. Est-ce en vertu d'une loi ? Si c'était en vertu d'une loi, la loi serait atroce, et il la faudrait abroger. C'est en vertu d'une tradition, et c'est bien là lei malheur, car une loi peut disparaître, une tradition, nulle part écrite, partout respectée,- dure et survit à toutes les protestations. Oui, en vertu d'une tradition, on exclut du jury des ouvriers. Ce sont des hommes ? C'est possible^. Ce: sont même des électeurs ? C'est encore vrai. Ils peuvent être, ils sont des élus ? C'est la, vérité. Alors, pourquoi ne sont-ils pas des juges criminels, au même titre que l'employé, que le négociant, que le médecin, lei fonctionnaire, le professeur ? Parce que le veut ainsi la tradition, au nom de laquelle on les assimile «aux gens de service », légalement exclus du jury. C'est avant la Révolution de février que cette assimilation a été faite. Depuis, le suffrage universel est venu qui a identifié devant l'urne1, au moins théoriquement, ouvriers, gens de service, bourgeois. L'esprit de classe subsiste. L'ouvrier ne peut juger. Quel avantage social cependant découlerait de son installation parmi les juges qui apprécient, sans motiver leur verdict autrement que par leurs doutes ou leurs remords, les travailleurs Du même coup, cette juridiction, un peu dure aux crimes contre la propriété, s'humaniserait au contact des ouvriers qui savent de combien de détresses invincibles jaillit la passion mauvaise convertie en crime par une loi aveugle pour les mobiles Du même coup, le jury serait plus digne de sa fonction quand lui seraient soumis les crimes dits passionnels, où l'instinct de bestialité, épuré par la littérature et transformé par elle en noble- orgueil, commande le meurtre Mais les ouvriers sont exclus. N'y aura-t-il personne pour leur restituer ce droit de juger qui leur a été dérobé ? Donc c'est devant des jurés appartenant tous à la classe bourgeoise, .aussi bien à Douai qu'à Annecy, que les ouvriers ont comparu. A Douai, c'étaient 'des patrons que l'avocat général a cherché, par une parole mauvaise, à exciter, comme patrons, en leur montrant leur usine dévastée le lendemain. A Annecy, c'étaient, pour la plupart, des paysans, attachés à la propriété individuelle, ennemis irréconciliables, parce qu'ils n'en peuvent comprendre l'application à leur agreste pays, de nos doctrines libératrices. Et à Douai comme à Annecy, le verdict, a écarté dtes ouvriers une peine formidable qui était requise. A Annecy, la condamnation a frappé les frères Cre Liiez....