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L’Intransigeant, 8 février 1917

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L’Intransigeant
8 février 1917


Extrait du journal

Tu me demandes, mon cher René, si, ■durant ma prochaine permission, j’irai encore au cir.éma, et je sais que ce n’est point sans ironie. Tu m!as déjà mani festé tou étonnement de me voir' un goût nouveau pour les images animées. Pourquoi les poilus aiment-ils le ci néma ? C’est parce que, sans idée pré conçue, sans critique systématique, un poilu ne peut plus aller au théâtre sans trouver que c’est du chiqué — et je ne connais pas de terme qui rende mieux son sentiment: Les sensations violentes qui forment son lot quotidien ont trop de force pour qu’il s’intéresse à la re présentation plus ou moins talentueuse de « tranches de vie-». Son émotivité est émoussée ; il lui .semble que les per sonnages ont bien tort .de s'en faire — ou de s’amuser — pour si peu ; il est trop heureux de vivre, simplement, pour 'süttegflrir sur le sort degens qui veulent plus ou moins vivre leur vie. Il faudra, pour émouvoir les poilus, leur parler de choses réellement grandes et belles — à l’image de leur âme ; les auteurs de l’avenir devront renoncer à s’adresser aux sens ou à l’imagination, mais essayer de toucher le cœur. . L’imagination, d’ailleurs, est bien atrophiée par la guerre. Et il ne peut en être autrement, parce qu’ici, il faut voir les . choses sous leur vrai jour, il faut que la volonté soit constamment tendue vers la .maîtrise des nerfs ; qui conque laisserait divaguer son imagina tion 3.U milieu des tristesses et des an goisses quotidiennes deviendrait rapide ment fou. On essaie.de se. distraire pour . no pas penser et, quand on est sérieux, on observe plutôt qu’on ne pense; encore doit-on constamment avoir l’œil précis et froid. C’est sans doute pourquoi, la dernière fois que je suis allé au théâtre, je-n’ai jamais pu me figurer que le décor fût réellement un paysage ; 'je n’ai cessé d’y voir des coups de pinceau, et j’ai remarqué un « raccord » ; il ne m’a pas échappé qu’un courant d’air traver sait le fond de la.scène, en, agitant la toile de fond et les robes promenées par là ; un violoniste cassa une chanterelle. Alors, on aime mieux le cinéma, qui a moins de prétention ; on sent que c’est bien du chiqué, et on regarde comme les enfants regardent les images ou, mieux, comme les enfants regardent le cinéma. Les enfants ne sont générale ment pas capables de l’effort nécessaire pour comprendre une pièce de théâtre, qui parle des choses trop lointaines pour eux. C’est la raison du goût des poilus, à moins que ce ne soit plutôt le désin téressement des vieillards que le théâtre n’amuse plus-. Mais, que ce soit par ignorance ou . parce qu’ils en sont re venus, les poilus sont, .à présent, bien loin de beaucoup de « petites secousses » d’avant- la guerre. LIEUTENANT LUCIEN S. ....

À propos

Fondé en 1880 par Eugène Mayer, L’Intransigeant était un quotidien de tendance socialiste. Ce qui ne l’empêcha pas, lors de l’affaire Dreyfus, de se laisser aller à un antisémitisme farouche.

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