Extrait du journal

Qu'a donc fait le pauvre cheval pour participer aussi intimement aux travaux les plus durs et les plus sanguinaires auxquels nous, pousse la malignité de notre destin ? Il aime les pommes, sans doute ; mais on ne peut croire qu’il en ait pris le goût au pied dei’arbre du bien et du mal. 1 Non ; s’il est un être innocent et candide, c’est bien ce solipède dont le dévouement est si souvent mal reconnu. Seul de toutes .les créatures, il est capable de peiner, jusqu’à la mort — faut-il qu’il sqit bête — sans pouvoir pousser autre chose que de tragiques soupirs. En lui refusant tout (moyen de signaler sa douleur par un cri ou par un geste, la nature a* fait de lui la victime fatale de l’égoïsme, de l’indifférence, de la cruauté, de la bêtise, et l’homme ajoute à ses propres crimes en en faisant un auxiliaire de sa, vindicte. Si les perfectionnements méca niques font disparaître les che vaux du champ de bataille, il faudra s’en féliciter.' En atten dant, la grande guerre leur aura fait subir des souffrances inouïes et des pertes cruelles. Le premier sang répandu que je vis à la guerre fut celui d’un cheval et le second, non loin de Nomény, fut celui d’un jeune garçon de ferme de 17 ans tué en passant çar les uhlans. Deux meurtres injustes qui, me saisis sant au premier jour, m’ont empêché d'ignorer le côté bête et lâche de la guerre. Après cela, les jeunes garçons sont devenus des soldats. Mais les chevaux ? Dès le mois d’août 1914, les pauvres bêtes eurent à souffrir d’une incompréhension trop géné rale de leurs besoins ; la cavale rie fut épuisée en marches et en...