Extrait du journal

La Clé des bois • PAR Jean Nesmp Voici la neuve saison qui est en marche. Sur le bord des cours d'eau, les saules sont en fleurs ; déjà, la grive musicienne a donné maints concerts ; la bourre des bourgeons, sous l’air tiède et les pluies frétillantes d’avril, a com mencé à frissonner, et l’herbe et les rameaux ; les coudriers ont arboré leurs plumets retombants ; du ciel jusqu’à la terre, tout prend un visage enchanté ; la nature, avec son air de bon accueil, vous souffle au cœur tout le prin temps ; la forêt ne fait plus la rebelle et la belle endormie : c’est le moment d’aller prendre la grande clé des bois. -t, 4 4 Nous savions bien où elle était, quand nous étions petits ! Par fois, . c’était avec grand-pèré qu’on partait, les jours où on avait été sage et qu’on avait congé. Parfois, à la dérobée, frrtt... on s’évadait tout seul, le cœur battant et d’un bon pas : le remords ne venait que plus tard. C’était par un jour clair, qui sentait le printemps. On s’était leve d’un peu mauvaise humeui-, n’ayant de goût à rien, sinon que de muser. On avait, de la fenêtre de sa chambre, en s’habillant nonchalamment, la tête encore toute engourdie, jeté un regard flâneur sur l'horizon sans penser le moins du monde à mal. Et puis voilà que, par la complicité même des choses, le projet coupable s était tout à coup, et comme de lui-même, ébauché dans l’esprit. Le petit bois, qui n’était pour tant pas de chênes verts, avait, de , loin,, dans le soleil matinal qui commençait à l’effleurer, comme si mous avions été des souspréfets aux champs, semblé nous faire signe. Et, réel ou imagi naire, son appel n'avait point passé inaperçu. La tentation était trop forte ; le souffle frais des beaux jours nous arrivait à larges bouffées par la fenêtre ouverte ; * un pic-vert, tout au. loin, jetait ses francs éclats de rire un coucqu nous conviait à jouer avec lui : il devait faire si bon, si bon dans# les grands bois reverdis sants l Qu partait donc, cartable au dos, d un air tout innocent, du même air d’apparence qu’on avait l’habitude. Et puis, sitôt le coin franchi... hopp !... on se jetait à travers champs en courant vite, en se. dissimulant derrière les haies ; car il fallait se méfier des valets de labour, des vieilles qui gardaient leurs moutons et, par dessus tout, du « champêtre » qui, de tous, était encore le plus rude ennemi. Sitôt à la corne du bois, on sentait son cœur soulagé. Ici, plus rien à craindre de tous ces esprits terre-à-terre, qui ne comprenaient pas que ces moments perdus seraient au fond les plus précieux de leur jeunesse pour la plupart de nous, tant nous étions là sans conteste dans notre vrai domaine et tant'nous amassions d’images, que nous nous enchanterions à feuilletèr plus tard dans la gri saille de nos vies, les yeux à. demi clos. S t & Dès la lisière, gare ! gare !... Qn était .signalé par un geai, qui faisait la vigie et toute la bande des autres de fuir en garrulant et se gaussant : « Trop tard, mon bel ami ! Penses-tu que tu vas nous prendre ! » Mais d’être dépisté par ces diables d’oiseaux de police, on s’en consolait vite, car ils ne manquaient pas les sujets de plaisir. Aux premiers pas, c’était un écureuil, me voici, me voilà, derrière les branches d’un « foyard ». Plus loin, un lapin partait dans nos jambes : « Cours si tu veux, je te défie de m’attraper!» De loin, de haut, l’éçole appa raissait encore plus maussade. Le clocher nous envoyait de temps à autre ses appels, ou même c’était la cloche de l’école qui, tirée par un camarade, nous donnait à peine une minute d’émotion. On avait autre chose à faire que de l’écouter ! Sans compter que c’était elle qui, après tout, était à plaindre, la captive ! On enten dait aussi l’enclume du forgeron : d’autres travaillaient' ; c’était si bon de ne rien fairp, de courir et debuissonner ! Le soir était venu sans qu on s’én aperçut. Il fallait prendre le chemin du retour. C’était alors l’expiation.après la grande faute, tout le fardeau de. la mélancolie après les ailes de la joie. L’ombre montait en nous comme dans les vallées ; car la grande clarté qui, tout le jour, nous avait noyé l’âme, s’éteignait par degrés comme au dehors les reflets du soleil dans le ciel. On rentrait à la brume ; tout se confondait, ciel et terre, forêt et plaine à leurs confins. On avait fait du moins une bonne provision d’air pur, de rayons, d’allégresse et de...