Extrait du journal

Les ouvriers paraissent atteints d’une maladie dont nous aimons à croire qu’ils réchapperont, mais dont nous ne saurions trop leur signaler ■le danger. Ils ont la douce manie, chaque fois qu’ils se voient exploités ‘ outre mesure par leurs patrons, d’aller tout d’abord porter leurs do léances à quelque niinistre, qu’ils prient de vouloir bien s’intéresser à eux. C’est à peu près comme si un con damné à mort demandait à M. Deibler de tâcher de lui sauver la vie. Les ouvriers boulangers, qui sont sous la coupe et dans la dépendance des bureaux de placement, sont allés trouver naïvement Constans et l’ont conjuré d’obtenir de la Chambre la suppression des bureaux de place ment. S’adresser à Constans, qui rêve une immense mitrailleuse de force à exterminer en une seule dé charge toute la classe ouvrière* dont il n’a massacré qu’une faible partie . le Ier mai dernier, c’est déjà raide; mais le prier de demander aide et . protection au Parlement, qui est en train de prendre les travailleurs par la famine, c’est, à notre avis, le comble de la candeur. Déjà les employés de chemins de fer s’étaient adressés à Yves Guyot, qui les avait reçus comme dans un jeu de.quilles : le ministre, actuel des travaux publics ayant fondé autrefois des journaux communards dont il ne . payait pas les rédacteurs, et se consi dérant conséquemment comme un pa tron. Constans, qui sent le terrain s’é bouler sous ses. pieds, n’a pas osé jeter à ■ la porte les délégués de la boulangerie ; mais il les a ironique ment bernés, en leur rappelant que plusieurs propositions concernant les bureaux de placement moisissaient dans les cartons du Palais-Bourbon et. en ajoutant que sitôt-qu’elles en sortiraient, il tiendrait compté des réclamations de ses visiteurs. • Or, comme on a vu nombre de projets rester cinq,- six et douze ans sans venir en discussion , lés boulangers auront le temps de pétrir du pain avant d’obtenir un résultat. Comment, d’ailleurs, peuvent-ils' s’imaginer que Constans va se mettre ainsi contre les patrons, qui ont de l’argent, avec les ouvriers, qui n’en ont pas? Il est, du reste, presque fondé à leur tenir ce raisonnement : «Puisque tous vos salaires, petits ou gros, sont destinés à alimenter la cagnotte de mon Pari mutuel, que vous importe d’en verser une portion dans les caisses des bureaux de pla cement, au lieu de la porter aux ba raques du bois de Boulogne ? » Les bureaux de placement sont, en réalité, les auxiliaires et les complices des patrons, auxquels ils procurent des travailleurs sur le tempérament, le caractère et les opinions de qui ils sont à même de fournir toute sorte de renseignements. C’est pourquoi les propriétaires de boulangeries ne ces seront jamais d’aller chercher là leur " personnel. Ces bureaux de placement sont aussi dés . bureaux d’informa-r tions. ‘ Les Anglais, qui n’ont pas la pré tention d’être • en république, bien qu’ils y soient certainement beaucoup plus que nous, n’ont aucune idée de - ce recours aux pouvoirs publics, qu’ils considèrent comme leurs ennemis na turels. Pratiques comme ils le sont, ils ne s’amusent pas à perdre leur temps en démarches qu’ils savent d’avance devoir rester parfaitement inutiles. Ils sé concertent entre eux et pro posent aux directeurs de compagnies . et d’usines des ultimatum que ceuxci acceptait ou repoussent, mais qui...