Extrait du journal
LE JOUR DÈS FLEURS Fenêtres . parfumées C'-est aujourd’hui grande fête chez les horticulteurs. On inaugure leur exposi tion. Mais les fleurs sont aujourd’hui plus chères qu’autrefois. Autrefois, Jenny l’ouvrière s’en tirait à meilleur marché, mais Jenny l’ouvrière, aujour d’hui, gagne une bonne journée et elle fait la semaine anglaise. Ce que nous en disons n’est pas pour nous en plaindre nous l’en félicitons, au contraire. La flânerie et un bon salaire, ce sont les éléments essentiels du bonheur de l’hom me qui travaille. La fenêtre fleurie à la portée de toutes les bourses, c’est la joie pour qui de meure en deçà de la fenêtre, et c’est un plaisir pour les yeux de qui passe de hors. Il n’y a pas tant de ces bonheurslà, qui soient aussi purs vus du dehors que vus du dedans. Un bonheur qui n’a pas d’envers, pour quelques francs, c’est presque la pierre philosophale. Plaisir des yeux, et puis aussi joie dé; l’esprit. La chambre fleurie, cela donne: envie de- chanter. Chanter, c’est bercer son rêve. Et rêver, c’est oublier, c’est fuir un peu les laideurs de la vie, la trahison, la flatterie, un deuil, une dé ception. C’est s’élever au-dessus d’un destin médiocre ; c’est se tenir en deçà de l’inaccessible, c’est se résigner sans souffrir.. ■ -8» -S-. -S» ■ •Autant de clients pour nos fleuristes, autant de partisans de moins pour la révolte contre la prétendue injustice du, sort. Etre content, c’est être riche. La sagesse, c’est un papier buvard tout juste assez grand pour la tache d’encre, qu’il doit boire. Il suffit qu’il reste un bord-rose tout autour, et la vie sera supportable. Mais il ne faut pas vouloir boire, à soi tout seul, toute la noirceur du monde. Il faut borner sa clair voyance. Comme il y a des verres pour les yeux myopes, il y.en a pour les re gards trop aigus, des verres qui brouil lent la vision au delà de la somme de chagrin que le cœur est capable de con tenir. Parions qu’on ne verra pas flotter de —drapeau noir*auxfenêfTêSTfëtrri£s. Peutf^ Stre un drapeau tricolore. Le drapeau triîolore fait si bien au milieu des fleurs 1 N’est-ce pas à elles qu’il a pris ses cou leurs : aux coquelicots, aux bleuets, aux lis. Il, ne veut pas savoir qu’il y a aussi des fleurs noires. Il n’y a pas de-deuil éternel dans les couleurs du drapeau de France. Les deuils passent, la France demeure. Pas de drapeau noir. Parions aussi que le sang d’un drame ne coulera ja mais .dans la chambse aux fenêtres fleuries. Voir s’ouvrir un bouton, hier encore fermé, c’est respecter la vie. On sait que la fleur fanera demain. On sait que la vie s’éteindra un jour. Mais il faut laisser faire le temps et ne cueillir ni les fleurs, ni la vie. & £ & Respecter le temps, l’œuvre du temps. Se développer soi-même. Travailler à faire éclore la fleur de son âme, faite, comme la petite fleur, d’ordre, d’harmo: nie, de patience de mesure et de beauté. Respecter l’ordre immuable de ce qui n’a jamais changé) depuis l’origine du monde. Quelquefois un bouton se fane sur sa tige et meurt sans s’être ouvert. C’est un rêve qu’on avait fait et qui ne s’est pas réalisé. Quelquefois une fleur est si belle qu’on ne peut se résigner à la voir dépérir, à la voir vieillir, deve nir faible,- devenir laide. Bah 1 elle a eu son temps. Elle a vu le soleil. Une abeille, une fois, s’est posée dans son calice. Elle a vécu. Elle peut mourir. D’autres, avant elle, aussi belles, aussi faites pour, être 'éternelles, ne sont-elles pas mortes ? Ainsi de fceux qui sont tombés pen dant la guerre,: des amis jeunes, pleins de force et pleins d’espérance, de grâce, de talent. Us se sont fanés sur leur tige, et nous vivons encore. Qui dono oserait sè plaindre de voir si têt passer la vie, -après qu’ils sont morts si loin du terme que leur jeunesse et notre amour leur avaient assigné? N’est-il pas,au contraire, plus aisé que jamais peut-être au cours des siècles,- de se résigner, d’être sage et 'content de son destin ? Mon ami est mort. Nous avions fait, lui et moi, de, si beaux projets pour après la guerre ! Mon ami est mort. Comme il me sera facile, à présent, de mourir, et de vivre. Elles disent tout cela, les fenêtres fleuries. MAURICE BEERBLOCK....
À propos
Fondé en 1880 par Eugène Mayer, L’Intransigeant était un quotidien de tendance socialiste. Ce qui ne l’empêcha pas, lors de l’affaire Dreyfus, de se laisser aller à un antisémitisme farouche.
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