Extrait du journal
LES VENDANGES Je quitte dans son plein la fête des ven danges. La vraie. Rien de commun avec cette mascarade grotesque dont les amu seurs de l’Exposition ont voulu régaler les provinciaux. La vendange, à ce moment-ci, est la grande passion dé la moitié de la France, ’ depuis la Loire jusqu’aux Pyrénées, à la Méditerranée et anx Alpes. Jamais, de mémoire de paysan,. fût-il centenaire, on ne vit tant de raisin. Mais quel travail i quel tourment! veux-je dire. Ce n’est pas une surprise, c’est une alerte. Comme qui dirait une catastrophe bienfaisante. Les mains de tout le mondem'arrivent pas à couper assez vite les grappes tom bant jusqu'à terre, où elles commencent à moisir. Cette passion vous gagne et qui conque va se promener à la campagne de mande un couteau frais aiguisé pour se mettre à la besogne. On embauche tant qu’on peut. Les hom mes,deux francs ; les femmes, et lès enfants un franc avec, à midi et le soir, les repas pantagruéliques en commun. Mais détrom pez-vous, il n’y a ni chant, ni musique, ni danse. On ne pourrait, tant graude est la lassitude de chacun. Si la journée tout entière, de l'aube à la plus noire obscurité, est occupée à couper le raisin, une partie de la nuit, jusqu’à minuit ou une heure du matin, est em ployée ' au foulage dans les pressoirs et à la< cargaison des hautes , cuves où bout, avec un petit.bruit, Te jus écarlate. Rompu, on va se coucher pour recom mencer à cinq heures du matin. Cette fatigue serait délicieuse s’il n'y avait pas l’angoissante inquiétude de man quer de barriques. Cuves et pressoirs sont pleins ; il faut, dès que la fermentation le permet, mettre le vin dans des pièces pour faire nouvélle place au raisin qui, dans les longs sillons, attend son tour. Les barriques manquent !... Je les. ai vu payer vingt-deux et vingt-cinq francs. J’ai vu apporter deux barriques vides et en remporter une pleine pour le prix de celle qu’on laissait Cela dans la Gironde, à Capian, un bon cru, à trente kilomètres de Bordeaux. . Dans le Midi, c’est mieux, ou pire. Des milliers d’hectolitres de bons vins se per dront cette année faute de récipients pour les loger. Fort heureusement la saison, comme si elle avait conscience des difficultés, se prête à ce prolongement forcé des vendanges. Peu de pluie, point de froid et un beau soleil conservant à la graine son degré et son arôme. Dans les régions de Narbonne, Carcas sonne et une partie de l'Hérault, les vins sont déjà cotés à trente francs la barrique. Dans certains palus on l’offre à deux francs l’hectolitre. Mais quoi ! rien pour le mettre !...
À propos
Fondé en 1880 par Eugène Mayer, L’Intransigeant était un quotidien de tendance socialiste. Ce qui ne l’empêcha pas, lors de l’affaire Dreyfus, de se laisser aller à un antisémitisme farouche.
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