Extrait du journal
Front britannique, janvier 1917. — Il était quatre-heures après midi. Le ciel, très bas,était chargé de neige ; la plaine et les mai sons en étaient recouvertes. Deux wagons étendus, éventrés par les obus, en bordure de la voie, des ormes déchiquetés —> de ces ormes magnifiques qui bordent dans toute leur longueur les belles routes des Flandres témoignaient aux portes de la cite que l'ennemi n’était pas loin. . *En effet, il n’est à guère plus de trois kilomètres, de quelque coté que 1 on se tourne den tient ^faire savoir qu’il est toujours Présent en bombardant sans cesse. Pourquoi ses grosses pièces dirigent-elles depuis des mois un tir concentrique sur Ypres qui nest plus — il lp sait — qu’un lieu géographique î. ^ Pourquoi,^depuis huit jours, a-t-il lancé sur ce lieu géographique plus d’obus que dans tout un mois ordinaire ? On ne le sait pas d^Quei intérêt trouva-t-il à remuer, à broyer, à malaxer des monceaux de pierres et de debris de toutes -sortes î On le demande .au monde civilisé. v , . • ; Est-ce dans L’espoir de tuer des civils ? n n’v en a plus depuis longtemps dans Ypres. D’ailleurs, où, logeraient-ils î Car il n’v a pas une maison, pas une bicoque qui n’ait reçu son compte et plus même que son compte, et des caves, il n’y en avait point de-solides dans Ypres. . Nous allons au bureau de . Town-Major, c’est-à-dire du commandant de place, où nous sommes priés d’apposer notre signature sur un registre, puis nous montons au sommet d’un observatoire, d’où nous découvrons le plus lamentable panorama qui se puisse ima giner. : , ... Ypres était avant cette guerre une petite cité délicate et gracieuse formant îlot dans -la grande plaine. Ses maisons, construites en briques rouges et de pierres couleur d’ocre, se pressaient les unes sur les autres comme si elles eussent eu le sens de la solidarité. C’est .-pourquoi le même malheur les a frap-, pées toutes, unanimement. Elles ont voulu - mourir ensemble —et elles sont mortes, en effet. Morts aussi, ces admirables bijoux qu’é taient l’église Saint-Martin et la Halle aux Drapiers, mortes les arcades graciles, les sta tues et les statuettes innombrables, mort le beffroi, morts les clochetons, morte la vie des pierres, celle des gens et des affaires. Les Boches s’acharnent sur un cadavre. Comme nous parvenions aux Halles. < une sentinelle, sortie de quelque pan de mur, s’est approché de notre guidé et lui a signalé le danger de l’endroit où nous passions. Les Boches l’avaient marmité tout le jour. Je ne sais, en effet, quelle odeur d’incendie, de; poudre ou de gaz nous prenait à la, gorge. Un socialiste, anglais {directeur d’un jour-; nal avancé de ■ Londres, marchait auprès de moi. J’étais curieux de surprendre sur sa physionomie le reflet de ses impressions. J1 avait l’air d'un homme qui suit l enterrement d’un ami et répétait : • Je n’aurais pas cru...’ Non I Je n’aurais pas cru. » Puis son âme de socialiste tourmentée. s’exhala dans cette ex-, clamation • « Il faudrait empêcher le retour de nareilles horreurs, mais comment j »...
À propos
Fondé en 1880 par Eugène Mayer, L’Intransigeant était un quotidien de tendance socialiste. Ce qui ne l’empêcha pas, lors de l’affaire Dreyfus, de se laisser aller à un antisémitisme farouche.
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