Extrait du journal

La menace qui gronde sur Venise, Veaise, l'étonnante cité, la cité par excellence, joyau je l'Italie, luxe de la Terre, perle de la Mer •, Venise, dont la rayonnante beauté arrachait à 1 ambassadeur de France, Philippe de Commines, quand il y fit son entrée en 1495, ce cri d'enthousiasme « C'est la plus trlumphante cité que j'aye jamais vue I », la menace qui gronde sur venise a suggéré à la presse suisse l'idée d'associer la presse de tous les pays neutres à une solennelle adjuration qui serait faite aux Puissances centrales d'épargner les incomparables richesses d'art qui peuplent ce sol sacré. Disons le mot salutaire, s'écrient nos confrères helvètes, disons-le tout de suite, à haute voix Le mot salutaire 1 Hélas La Suisse ne soupçonne donc rien de la nature de cette guerre, de son épouvantable nouveauté t Elle proteste au nom de la Beauté et de l'Art. Elle craint que les barbares Tedeschi ne saccage l'Italie du Nord. Elle a raison de craindre et de protester. Une chose de beauté est une joie pour toujours •, a dit le grand Ruskin. Quiconque détruit l'architecture sans cause sera maudit or l'architecture est toujours détruite sans cause. Détruire, quelle abjection La Suisse ne perçoit-elle pas que l'Allemagne va vers cette abjection de la même manière qu'un fleuve va vers la mer sous la poussée d'une loi naturelle. Les maîtres de la culture germanique veulent supprimer la Bonie. Il ne leur déplairait pas de supprimer dans le même temps la Beauté qui n'est pas allemande. L'Allemagne de la Renaissance est loin. Quand, il y a quatre siècles, elle tenait modestement son rble de candidate à la culture, l'Allemagne imitait Rome et l'Italie. Depuis, elle est née au militarisme. Elle a créé une façon de penser, de voir et de vivre qui est proprement allemande. Elle a rompu en visière à la raison traditionnelle, aux lois antiques du goût et du bon sens. Elle a vu au fond d'elle-même ce qui y était le brutal, le violent, le sauvage, l'impoli, l'indégrossi et le dur. Elle a mis toutes ces belles choses sur l'autel, et pour le reste elle n'a, ou plutôt elle n'affecte que mépris. La culture latine, la finesse italienne, elle les hait et secrètement les jalouse. Quelle joie ce sera pour elle. quelle jubilation que de mêler l'injure au bombardement quand la resplendissante Venise, après Verone, après Mantoue, sera sous le feu de ses canons En Allemagne, le cuistre aide le reître....