Extrait du journal

CHASSE D'HIEtt ET D’AL)OUKD’HLI Le coup de fusil des chasseurs frappe les bords de l’horizon : la chasse est ouverte, la guerre déclarée à la grive comme au lièvre, à la bécasse, à la caille, qui s appelleront gibier. Au loin retentit et se prolonge le va-etv«ent des abois rauques du chien courant. Le braconnier a préparé ses lacets, le lovai chasseur ses cartouches, qu’il a fabriquées lentement, avec un certain plaisir, dosant le plomb et la poudre, saluant par avance la culbute des lapins. La carnassière au cuir marqué de sang noir, à l’odeur violente, est enlevée au clou qui la suspendait, ainsi que le fouet dont on caresse l’échine des jeunes chiens pétulants. Par l’ouverture de la chasse, des milliers de Nemrods se précipitent, de plus en plus nombreux. toujours armés davantage, et pénètrent de plainpied dans les domaines de la prouesse. Le plus maladroit aura sujet de se vanter et licence de mettre plume au chapeau. Il est toujours des garçons malchanceux à qui l’on dérobe' leurs lièvres ou leurs perdrix ; ils tuent seulement des heures et leurs plombs transpercent les feuilles du topinam bour et des arbres : c’est un peu cher, au prix de la poudre pyroxylée. Il y aura bientôt autant de chasseurs que de perdreaux, ma:s l’on connaît des sages qui abattent des corbeaux et déclarent qu’ils font d'excellent bouillon. D’autres, faute de grives, mangent des merles ; le moineau remplace l’alouette, et le geai même n’est pas épargné... Il y a dans toutes les choses humaines des fastes et des vicissitudes. Le goût de tuer ne se perdra pas ; à plus forte raison, s’il est question de joie et de nourriture succulente. Voilà bien longtemps, les premiers dessinateurs du monde ont tracé sur le rocher des cavernes la figure des animaux immolés que l’on rapportait au repaire. Des peintures de la vieille Egypte racontent la poursuite de bêtes féroces, harcelées de flèches ; et plus près de nous, au seuil de nos âges, les peintres hollandais et flamands fixèrent le souvenir des hallalis de loups et de sanchers. Un Desporter, un Oudry narraient en couleurs les chasses du Roi-Soleil qui, longtemps victorieux des hommes, le pouvait être des chevreuils et des porcs sauvages : le cerf mourait dans la clairière, ennobli par la mort tragique et ses propres 1 regards désespérés, salué par des gentilshommes. On pourrait croire que ces chasses étaient harmonieuses et cruelles comme une tragédie du grand Racine. Les beaux laisser-courre d’autrefois, les hallalis et les bien-aller, les fanfares, les trompes sonnantes, tant de chasses grandioses ne sont pas oubliées des vieux arbres de nos forêts. Un Carie Vernet, un Alfred de Dreux nous proposent 1 image de femmes gracieuses galopant auprès de leurs cavaliers. Les gens simples en restent tout ébaudis, comme s’il s’agissait d une fête galante, et non de forcer la biche ou le daim, en les épuisant jusqu à 1 agonie. Ces courses ardentes sont de plus en plus rares aujourd hui. Le bouton à devise, les couleurs des équipages, les bottes de vénerie et la toque de chasse, sont relégués au grenier, sauf exception splendide. Peu de gens peuvent entretenir une meute de chiens qui gardent, par des croisements subtils, les anciennes vertus d'endurance et de vitesse, de gorge et de | finesse de nez. Les cerfs entrent peu à peu dans la légende ; les braconniers, sans tambours ni trompettes, les déciment. Les sangliers sont poursuivis à feu et à sang ; ils meurent misérablement, frappés par du plomb vulgaire, et parfois éventrés par des coutelas de cuisine. Il faut faire des lieues et des lieues avant d’apprendre que l’on a vu un chevreuil qui s’efface vite dans les bois comme une apparition de fée..* Charles SILVESTRE....