Extrait du journal

LETTREDE PARIS Paris, le 10 janvier 1807. Dans son numéro de vendredi dernier, le Mémorial de la Loire a résume le rapport officiel dressé sur les résultats du recense ment quinquennal opéré en France le 29 mars 1896. Faut-il l'avouer ? Malgré la profonde estime que je professe pour cette administration que l’Europe nous envie, tout en nous la laissant pour compte — un vrai compte d’apothicaire, hélas î — malgré cette profonde estime, je n’ai dans l’opération effectuée par ses soins qu’une confiance des plus limitées. Et voici pourquoi : En 1876, année de recensement, je me trouvai retenu pendant de longs mois dans une petite commune de montagne dont le maire m’honorait de son amitié. Le brave homme très intelligent et même quelque peu roublard, mais dans le bon sens de ce qua lificatif emprunté à la langue verte, n’avait malheureusement pas pour lui la plume aussi déliée que l’esprit. Comme, d’autre part, les tendances de son secrétaire, jeune instituteur frais émoulu de l’écoie normale, lui inspiraient des doutes sérieux, il me pria d’établir le travail de dénombrement qu'il devait envoyer à la Préfecture. Bien que cette besogne fût dépourvue d’attrait», je ne crus pas pouvoir la refuser et je mis au net les fiches assez rudimentaires prises pour servir de base aux écritures définitives. Puis lorsque j’eus fini et qu’en réponse à des questions anxieuses, j’eus par deux fois donné à M. le Maire l’assurance qu<* le nom bre d'habitants de la commune dépassait mille de quelques unités, U me dit avec une souriante bonliommie : « Peut-être bien ne « sommes-nous pas tout à fan autant ; mais « si nous accusions un chiffre inférieur à « miile, on nous supprimerait notn- vicaire < et nous avons besoin de deux messes, les « dimanches et jour* de fête ». Je ne pou vais. n’est-ce pas, que m’incliner devant, cette façon large de comprendre la statistique offi cielle et c’est ce que je fis. La commune con serva son vicaire et elle en a encore un, quoique sa population ail certainement dimi nué depuis lors, en raison de constantes émigrations sur Paris. Dix ans plus tard, en 1886, autre année de recensement, j’habitais une grande ville de province. Par je ne sais plus quel hasard, j’appris avec preuves à l’appui, que trois ou quatre rues très populeuses d’un même quar tier n’avaient pas été comprises dans les chiffres du dénombrement. La chose me laissa, comme de juste, absolument indiffé...