Extrait du journal

Virgile est tout à fait d'actualité, non pas seulement dans les collèges, où les potaches se débattent sous la douche fortifiante de ses vers, mais encore dans les feuilles. On vient de découvrir, comme vous savez, en Algérie, une mosaïque donnant le seul portrait à peu près authentique du maître de Mantoue. Mais une Académie, qui possède une photographie de ladite mosaïque, refuse absolument de la communiquer. Nous ne connaîtrons peut-être jamais Virgile; nous ne connaîtrons même pas son descendant. Car il avait à Paris un descendant qui vient de mourir... On l’a conduit samedi au cime tière de Bagneux. Un descendant de Virgile à Paris ? Mais oui ! En cherchant bien, on trouverait des petits neveux d’Horace et de Catulle, ou même de Tacite, qui n'a peut-être jamais existe, comme l’a démontré M. [Hochart... Charles Maron, en effet, né en 1817, à Nevers, se disait originaire d’un petit village des environs de Mantoue, et affirmait, non sans orgueil, que Publius VirgiliusMaro était un de ses ancêtres. Frère d’Eugène Maron, le secrétaire de Lamen nais, et l’auteur de plusieurs ouvrages estimés sur l’histoire de la Révolution, Charles Maron, dit le Temps, était lui-même un lettré et un érudit fort distingué. Il avait été bibliothécaire de la ville d’Autun et rédacteur en chef d'un journal qui eut quelque importance au commencement de l’Empire Y Echo de Saône-et-Loire. Venu à Paris vers 1851, il collabora à la rédaction du Magasin pittoresque pendant plus de vingt ans. Ses re cherches se portèrent surtout sur l’histoire de l’architecture et de la sculpture françaises. Il laisse, sur ce sujet, le manuscrit d’un ouvrage qui doit paraître en quatre volumes in-8*. Ces dernières années, dans les cafés du quartier Latin, on pouvait voir souvent ce grand vieillard maigre, aux allures d’officier retraité, à la même table que Paul Verlaine et Paul Arène. Les con versations étaient alors fort gaies, car C. Maron savait parler avec beaucoup d’esprit, et avait gardé dans sa mémoire mille anecdotes sur pres que toutes les célébrités contemporaines. Il était précieux aux jeunes journalistes eu quête de su jets « d’échos. » Chaque année, au 1" janvier, il recevait une lettre assez curieuse : les habitants du hameau mantouan dont il était originaire portent tous le nom de Maro. Us considéraient le mort d’hier comme le doyen de leur famille et ne manquaient jamais de venir annuellement lui exprimer leurs vœux dans un patois qui n’avait que de vagues rapports avec la langue des Géorgiques... Un descendant de Virgile, boulevardier et fournisseur d’échos pour reporters en mal de copie !... tout arrive, et tout s’en va, puis qu’il vient de mourir !...