Extrait du journal
PARMI LES RUINES (DE NOTRE EaNVOXÉ spécial) Aix, 18 juin. III Lambesc Lambeec est une petite ville de 2.100 ha bitants. à environ vingt kilomètres d’Aix et à cinq de Saint-Cannat. Au sortir de ce der nier village, la route est une de ces admi rables routes si unies, si bien entretenues, si blanches, qu’on ne trouve qu’en Provence, tes plus belles de France, pareilles à un ru ban d’argent dont s’ornerait une tapisserie aux tons délicats, variés et un peu passés, car ici la poussière atténue la couleur des choses, — au sortir de Saint-Cannat. dis-je, la route gravit une petite montagnette rochesse, où la lavande pousse ses touffes drues et sèches, si tendrement grises et si jolies avec leurs gentilles fleurettes bleues. A gauche et à droite, les champs s’étendent, des champe d’oliviers au feuillage argenté et d’amandiers à la frondaison d’un vert pâle, d’où sortent, comme des lances, les cyprès noirs, les cyprès qui sont ailleurs les sombres sentinelles des morts mais qui, dans celte région où on les emploie comme arbres d’or nement, n’éveillent aucune pensée triste. Il fait un temps admirable : l’air est d’une transparence merveilleuse, et le ciel adora blement bleu ; le mistral, qui souffle sans violence, est tout chargé des délicieuses senteurs de la lavande, du thym, du pin ma ritime et du pin parasol. C’fest ici ou jamais Sue se justifie le mot charmant du poète odeau, « le nain de Julie * qui, après avoir charmé les précieuses de l’hôtel de Ram bouillet, embrasse la carrière ecclésiastique et devient évêque de Ven ce et qui appelle la Provence « la gueuse parfumée ». La belle gueuse ! Mais, hélas ! ce n’est pas pour ad mirer la splendeur de la nature provençale que le « Mémorial de la Loire * m’a envoyé dans cette région, hier si heureuse, aujour d'hui si cruellement éprouvée et je dois ou blier la magie de ces paysages merveilleux et ne plus observer que les terribles effets 3e l’épouvantable catastrophe qui a mis en leuil ce noble pays, créé pour la fête du cœur et la joie des yeux. Sur celte roule de cinq kilomètres qui con duit de Saint-Cannat à Lambesc on lie ren contre que deux seules maisons, et de l’une et de l’autre il ne reste rien, rien que de gros tas de pierres qui tombent en poussière et, sous le coup de fouet du mistral, se dis solvent en poudre. Quand j’arrive au sommet de la montagnette, j’aperçois dans le bas la petite ville de Lambesc, à quelques centaines de mètres ou, plutôt, j’en vois les toitures fai tes de tuiles dorées par le soleil et qui ont pris une teinte d’un roux clair. Au-dessus des maisons groupées en un bourg serré à droite et à gauche de la rue Grande, qui n’est autre que la graude route, se dressent Je clocher de l’église et la tour du beffroi qui, à celte distance, semblent n’avoir Aucunement souffert du tremblement deterre. Et, en effet, l'église et le beffroi ont re marquablement supporté le choc. L’église, solidement bâtie en pierres soigneusement appareillées, a bien perdu la pointe de son clocher et les bords de sa toiture ont bien été un peu déchirés, mais les mura et la voûte de la nef ne montrent pas la moindre lézarde, Le beffroi, construit en beaux moel lons, n’a pas tremblé ; pas une de ses qua tre faces ne s'est fendillée,pas une des pierres dont il est fait ne s’est disjointe et, dans sa cage de fer, le vieux « jacquemart » est resté en place avec ses quatre personnages, bons hommes et bonnes femmes, qui, naguère, sonnaient drôlement les heures, les demies et les quarts, pour l’amusement de ce village où les habitants goûtaient la joie de vivre. Maintenant, le pauvre Jacquemart est muet et ses sonneries ne rappellent plus à la po pulation que l’heure est venue de se mettre A table ou de songer au sommeil. L’horloge, placée sur l’un des côtés du beffroi, marque 9 h. 18 : c’est le moment auquel elle s’est arrêtée, le soir du cataclysme. Aucune des maisons de la rue Grande ne Îiorte, extérieurement, de traces sérieuses de a catastrophe. Et ainsi.à ne faire que passer rapidement à travers Lambesc, on pourrait ne point con naître que la ville a été la plus éprouvée de toutes — elle a perdu quiuze habitants, un de plus que Rognes et quatre de plus que Saint-Cannat. Mais, si l’on jette, de la rue Grande, un coup d’œil sur les rues transversales, qui ne sont que des ruelles, on aperçoit des tas de pierres noyées dans de la poussière, qui sont tout ce qui reste des maisons sous les quelles le sol a tremblé et si l’on s’enfonce dans ces profondeurs, on ne voit plus que maisons effondrées, que murs croulants, que décombres des toitures, des plafonds et des murailles, où, parmi les gravats, on distin gue des meubles pulvérisés, des vêtements déchiquetés et des débris de vaisselle. Des architectes ont été envoyés, qui ont visité toutes les maisons et ont désigné celles qui, quoique restées debout, devaient être abattues, et, sur leurs indications, des G „ data s’emploient courageusement, et non ■ans danger, à déblayer les maisons ébou lées pour en retirer les meubles, à démolir celles qui menacent ruine, à déménager celles dont la sécurité est compromise. Ils aident les habitants à enlever et à pis-...
À propos
Fondé en 1845, le Mémorial judiciaire de la Loire est, comme son nom l’indique, un journal judiciaire. D’abord hebdomadaire puis quotidien, il est rebaptisé L’Avenir républicain en 1848, puis L’Industrie en 1852, puis le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire en 1854, nom qu’il raccourcit quelques quatre-vingt-ans plus tard en Le Mémorial. Collaborationniste, le journal est interdit en 1944.
En savoir plus Données de classification - delahaye
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