Extrait du journal

Lutter et renoncer. (La Comédie de l'amour.) Henrik Ibsen a été l’un des prophètes de ce temps. Il est apparu à la foule lointain et seul.Une légende, impré cise comme il convient, a fait de lui un personnage tragique et mystérieux. On l’imaginait toujours mu par une sourde colère. Sans patrie, sans amis, étranger à tout parti et à tout groupement quelconque, naturel ou de libre adhésion, farou che, il semblait le juge implacable qui toujours découvre le mal caché derrière les faux-semblants du bien, qui ne croit même pas le bien possible. En Norvège même, on racontait volontiers toutes sortes d’anecdotes plus ou moins authentiques, qui le montraient enfermé dans sa correction hautaine, constamment sur la défensive, et prompt à la riposte froidement insolente. Ainsi une fois — me disait-on— un jeune écrivain, qui se trouvait au Grand Café avec une maîtresse de rencontre, aborde le maître silencieux, et veut lui présenter la jeune femme. Ibsen, sans répondre, appelle tranquillement le garçon, et lui dit : « Otezmoi cet individu. » La vie d’Ibsen est assez connue dans ses grandes lignes, et je suppose que M. Paul Verrier nous la retracera plus ample ment que je ne pourrais le faire ici. Je préfère essayer de dire quel homme fut Ibsen, opposer à la légende un portrait plus humain. Ceci pourra être mieux fait plus tard, à mesure que les souvenirs de ceux qui l’ont connu assez intimement seront publiés. Dès maintenant, il me semble que les traits essentiels...