Extrait du journal

Frédéric Mistral est mort le 25 mars dernier à Maillane, son bourg natal. Peu d’hommes, dans l’histoire littéraire, ont autant que lui, de leur vivant, connu la gloire. La gloire, il l’a eue, entière, profonde, faite de l’enthousiasme des foules et de l’admiration des lettrés, par delà les frontières* et les convictions confessionnelles ou politiques. Aucun poète vivant aujourd’hui ne sait ce que c’est que la gloire, s’il se compare à Mistral. Celui qui vient de s’éteindre a vu, entendu et lu des témoignages d’admiration qui eussent rendu jaloux un Gœthe ou un Hugo. Il n’en a éprouvé aucun enivrement, il était resté un homme simple, bienveillant, un peu ironique, qui ne se livre pas facilement, tout en demeurant familier avec les humbles. C’était un vrai Provençal plein de cour toisie et de finesse, c’était un grand lyrique, mais le secret de tant de popularité durable unie à tant de gloire littéraire se découvre ailleurs. Mistral était « un patriote provençàl» et c’est comme tel qu’on l’étudiait dans quelques universités d’Alle magne ou des Etats-Unis. C’est comme patriote provençal que Mistral a entraîné sous ses pas des foules enthousiastes. II se défendait d’être « un lit térateur ». Lorsqu’on lui demandait : « Quand publiez-vous votre prochain volume ? » Mistral ne dissimulait pas qu’il esti mait cette question fort sotte. Il répondait d’ordinaire : — Me prenez-vous pour un écrivain du boulevard qui pond son trois cinquante tous les six mois ? Est-ce que je sais, moi, 43...