L'expéditif procès des sœurs Papin (2/2)
En septembre 1933, s'ouvre le procès très médiatique des deux sœurs accusées d'avoir tué leurs patronnes. Leur geste demeure mystérieux.
Le 28 septembre 1933, le procès des sœurs Papin s'ouvre au tribunal du Mans. Les abords de la cour d'assise sont envahis par la foule. Les grands quotidiens parisiens ont dépêché leurs envoyés spéciaux sur place pour couvrir ce procès qui doit décider du sort des sœurs. Une journée seulement pour juger les deux jeunes femmes, accusées de double meurtre sur leurs patronnes.
"C'est une affaire très simple, nous disait hier le conseiller Beucher, qui préside aujourd'hui le procès des sœurs Christine et Léa Papin, les « arracheuses d'yeux », un meurtre banal, dont seulement les circonstances sont abominables.
Nous nous permettrons respectueusement de ne pas partager l'avis de ce distingué magistrat. — Quels sont les mobiles du crime ? lui demandions-nous en effet. — II n'y a pas de mobiles. — Les sœurs Papin ne sont pourtant pas des folles ? — Les experts commis par le parquet les déclarent parfaitement saines d'esprit. — Eh bien ! de deux choses l'une : ou l'inexpiable forfait de ces deux bonnes en délire n'a pas en effet de mobile compréhensible ou, si elles sont raisonnables, leurs mobiles sont inconnus, mais ils auraient dû être recherchés.
Nous avons la faiblesse de croire qu'il est impossible de sortir de ce dilemme. En l'état où elle se présente devant les jurés, l'affaire est une énigme insoluble."
Le 29 septembre 1933, après 40 minutes de délibération, le verdict tombe : condamnation à mort pour Christine, dix ans de bagne et vingt ans d'interdiction de séjour pour Léa.
"Restées muettes aux questions du président, elles n'ont pas livré le secret de leur double crime", commente Le Matin :
"Ni l'une ni l'autre n'avait la moindre raison d'en vouloir aux deux malheureuses femmes, c'était une « bonne place » qu'elles occupaient sans reproche depuis sept ans. Elles avaient mis de côté 22.000 francs, ne sortaient jamais, fût-ce le dimanche, étaient, enfin la douceur et la régularité mêmes. Leurs maîtresses faisaient d'elles le plus grand cas et les aimaient bien. On a retrouvé des cartes postales que Mme Lancelin, en vacances, écrivait à ses deux bonnes et qui étaient fort amicales. [...]
Bref, le plus épouvantable des meurtres et pas l'ombre d'une raison."
Analyse drastiquement opposée du côté de L'Humanité, qui penche pour un crime de classe :
"Les véritables raisons de ce meurtre, on peut les chercher dans l’enfer que vivaient ces deux domestiques dans cette famille bourgeoise. Oh ! Non pas qu’elles soient mal nourries ou mal logées, mais plutôt les vexations, les rabaissements que chaque jour leur faisaient subir les patrons, et la patronne en particulier. [...] Et il y avait sept ans que la vie d’esclave durait. Trouvez-vous étonnant qu’à la suite d’une dernière menace, toute la rancœur, toute la haine que l’imbécile bourgeoise avait accumulées au cœur de ses servantes aient tout à coup explosé avec une rage folle ?"
Le rôle des experts et la précipitation du juge sont discutés à l'issue de ce procès-éclair.
Dans Paris-Soir, les frères Jean et Jérôme Tharaud — deux journalistes qui emploient la première personne du singulier dans leurs articles — se penchent longuement sur la faiblesse et les contradictions des expertises :
"Le premier rapport signé par les trois experts ne faisait aucun état ni de l'alcoolisme du père des accusées, ni de l'internement d'une de leurs cousines dans un asile d'aliénés ; ni du fait que le frère de leur mère s'était pendu. [...]
Il ne s'arrêtait pas non plus à certains détails du crime qui indiquaient nettement du sadisme, ni à cet arrachement des yeux avec les doigts qui ne s'est jamais vu en dehors des cas de démence. [...]
De toute cette affaire, il ressort clairement qu'il est indispensable de créer, dans les prisons, des cliniques où l'on pourrait scientifiquement observer, avec les instruments et le personnel nécessaires, les accusés d'un genre aussi spécial que ces étranges créatures."
Christine, l'aînée, sera graciée par le président Albert Lebrun le 22 janvier 1934, et sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Dépressive, refusant de s'alimenter, elle meurt à l'asile public de Rennes le 18 mai 1937, à 32 ans.
Léa quant à elle travaillera toute sa vie comme femme de chambre dans des hôtels du Grand Ouest. Et mourra le 24 juillet 2001 à 89 ans.
L'affaire inspirera de nombreux auteurs : Jean Genet montera en 1947 une pièce de théâtre intitulée Les Bonnes, Claude Chabrol adaptera l'affaire en 1995, pour son film La Cérémonie.
Retrouvez le premier volet de notre série sur les sœurs Papin.