1906 : Le sarcophage de Charlemagne est ouvert
À la demande expresse de l’empereur d’Allemagne Guillaume II, la sépulture de Charlemagne est ouverte. Cette démarche, envisagée par la France comme un semi-affront, est très commentée.
Feu le roi des Francs et empereur d’Occident Charlemagne, inhumé le 28 janvier 814 dans la chapelle funéraire de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle – qu’il avait lui-même ordonné de bâtir, dans la capitale de son empire –, reposait en paix. Mais au début du XXe siècle, à la demande de l’empereur d’Allemagne Guillaume II, sa sépulture est ouverte afin d’entamer plusieurs recherches d’ordre archéologique.
Immédiatement, les commentaires abondent de l’autre côté du Rhin.
« Le chapitre d’Aix-la-Chapelle et quelques capitulaires du dôme étaient présents, ainsi que le directeur du musée d’art industriel de Berlin, le bourgmestre d’Aix-la-Chapelle et le président de la province, un peintre, un photographe, un greffier et l’orfèvre du trésor d’Aix-la-Chapelle assistaient également à l’opération.
Le chanoine Belleistein, avant d'ouvrir le sarcophage, a fait la déclaration suivante :
“Ce sarcophage va être ouvert d'abord pour rendre hommage à la mémoire de Charlemagne, mais surtout pour répondre à un désir de l'empereur ; il va être ouvert sur la demande écrite du conseiller secret Leasing, de Berlin, et avec la permission expresse du cardinal Fischer.” »
Après avoir prononcé les formules d’usage, on procède à l’ouverture. Une odeur de fascination plane sur les lieux et dans la retranscription qu’en font les reporters dépêchés sur place.
« L’orfèvre a ouvert alors le précieux sarcophage, puis le cercueil de Charlemagne ; on y a trouvé les trois documents qui y avaient été déposés en 1481, 1483 et 1861.
Les restes de Charlemagne étaient intacts et enveloppés de deux linceuls ; on les en a retirés et on a essayé de les photographier ; mais les conditions de lumière n’étant pas favorables, on s’est décidé à les envoyer à Berlin. »
Les deux morceaux d’étoffe brodée qui enveloppent les restes du grand empereur d’Occident furent étudiés par le professeur Lessing, auteur d’un ouvrage sur les industries textiles dans l’Antiquité. Le journal Le Matin indique que le professeur « reconnut tout de suite qu’elles avaient été enfermées dans le caveau postérieurement à la mise au tombeau de Charlemagne ».
« L’une de ces pièces provient, selon le savant professeur, de Palerme ; les broderies dont elle est ornée ne sont pas sans rapport avec le style des mosaïques siciliennes ; l’autre pièce d’étoffe serait, dit-on, d’origine byzantine.
Des fac-similés et des photographies de ces deux pièces d'étoffe sont exposés dans les vitrines de certaines maisons de Berlin. Les pièces elles-mêmes seront exposées pendant quelque temps, puis on les réexpédiera au trésor d'Aix-la-Chapelle, dont elles sont la propriété. »
Quelques mois plus tard, après avoir exhibé les précieux tissus de soie devant un comité de savants, à Berlin, dans une salle du musée des arts industriels, le professeur Lessing est en mesure d’affiner son analyse. Ses diverses recherches sur les ornements de l’illustre souverain ont semble-t-il porté leurs fruits.
Voici ce qu’en rapporte Le Petit Journal, tandis que le rédacteur en profite pour fustiger la célérité dont les autorités allemandes ont fait preuve, « ne [craignant] point d’agiter les cendres augustes du grand empereur des Francs ».
« L’étoffe est ornée de dessins qui caractérisent dans l’art persan l’époque du règne des Sassanides : le cercle, l’arbre de vie, un cavalier lancé ventre à terre ; puis les animaux symboliques : l’éléphant, le griffon et le dragon. L’un des linceuls a été tissé à Byzance.
Il prouve que l’art des Persans est passé par l’antique capitale de l’empire d’Orient, pour être ensuite connu dans toute l’Europe.
L’authenticité de l’origine de cette pièce est vérifiée par une inscription byzantine tissée dans un coin et qui révèle que ce travail a été exécuté par Petrus, contremaître d’un célèbre atelier de Byzance, sur l’ordre de Michel, grand chambellan de la cour.
Douze siècles ont passé sans altérer les couleurs de cet admirable tissu. On distingue encore nettement le bleu d’azur et le vert émeraude des dessins. »
Selon ces mêmes spécialistes, les étoffes orientales dateraient des Xe et XIIe siècles.
Cela signifie donc que si Charlemagne a bien été enseveli dans son fameux « sarcophage de Proserpine » le jour de sa mort, on sait à présent qu’il fut tiré de son sommeil et déplacé à plusieurs reprises.
« La première eut lieu sous l’empereur Othon, en l’an 1000. On trouva Charlemagne embaumé, assis sur son trône de marbre, vêtu de son manteau impérial, l’épée au côté et une Bible ouverte sur les genoux.
La seconde, opérée sous Frédéric Barberousse, en 1166, avait pour but d’enfermer les ossements du grand empereur dans un cercueil d’argent digne de lui.
La dernière [ouverture du cercueil] eut lieu en 1861, dans le but scientifique de mesurer les ossements de Charlemagne, et les savants purent constater que les historiens n’exagéraient pas en lui attribuant une taille extraordinaire. »
Après avoir été exposées quelque temps à Berlin, les pièces furent réexpédiées au trésor d’Aix-la-Chapelle, dont elles sont la propriété.
Un siècle plus tard, en 2014, les chercheurs de l’université de Zurich ont en outre authentifié les restes présents dans le tombeau comme étant bel et bien ceux du glorieux roi carolingien.