Écho de presse

Le cimetière des chiens d'Asnières, premier cimetière animalier au monde

le 19/10/2020 par Marina Bellot
le 04/05/2018 par Marina Bellot - modifié le 19/10/2020
Une des stèles du cimetière des chiens d'Asnières - source : Flickr / CC

Créé en 1899, le cimetière des chiens d’Asnières est considéré comme le premier cimetière pour animaux au monde. Indispensable ou indécent ? Le concept a suscité des réactions diverses.

 

« Toujours déçue par les humains, jamais par mon chien » 

« Chouchou, tu es le fils que je n’ai jamais eu »  

« Kiki, tu as été ce que j’eus de plus beau dans ma vie »

Voici quelques-unes des innombrables épitaphes que l'on peut découvrir au détour d’une promenade au cimetière des chiens d’Asnières-sur-Seine, à l’ouest de Paris.  

Considéré comme le premier cimetière pour animaux de l'ère moderne, il est fondé en 1899 par l'auteur Georges Harmois et la journaliste féministe Marguerite Durand, fondatrice du journal La Fronde, à une époque où les animaux sont de plus en plus reconnus par la société – et de plus en plus domestiqués.

Il répond à une problématique toute parisienne : que faire des animaux morts ? Jusque-là, ils étaient jetés avec les ordures ménagères, lancés dans la Seine ou bien les fossés des fortifications. 

Le concept, malgré tout, divise la presse.  Le Journal y voit pour sa part un « établissement nécessaire » : 

« Ils nous ont aimés, caressés, consolés parfois ; leur présence, au matin, a égayé notre chambre et mis la joie dans la maison : ne méritent-ils pas quelques pelletées de terre propre avec une sépulture convenable ?

Il manque à la ville le coin de terre où enfouir les bons chiens. Leurs corps sont jetés à la voirie, aux ordures, sur le fumier, ou flottent, lamentablement gonflés, objets de dégoût, au courant de la rivière qu'ils empoisonnent.

À ce mot : “un chien crevé !” avec la même répugnance, chacun détourne la tête pour ne pas voir. » 

D’autres trouvent l’idée saugrenue, voire indécente. Ainsi, Paul de Cassagnac, journaliste politique et député bonapartiste, s'indigne-t-il :  

« Quand je compare l'humanité et la race canine, je me crois le devoir d'attribuer à l'homme une supériorité hiérarchique vis-à-vis du chien.

Aussi bien, avant de me préoccuper d'un cimetière de chiens, je m'attendris plutôt sur le pauvre père de famille, sur l'enfant, sur la mère, qui n'ont pas de quoi s'acheter une place au cimetière et dont la pelle du fossoyeur jettera les os au vent, après cinq ans qui n'ont même pas suffi pour désagréger le squelette !

Quand tous les braves gens auront un coin tranquille où dormir et recevoir l'hommage à deux genoux de ceux qu'ils ont laissés sur terre, je m'intéresserai à la dépouille mortelle des chiens et des chats. Pas avant ! » 

Ce qui est certain, c'est que ce lieu insolite, avec son impressionnant portail Art nouveau dessiné par Eugène Petit, ne laisse personne indifférent. 

En 1900, un journaliste du quotidien Paris se dit « charmé de la visite » : 

« Un magnifique portique, en pierres de taille, laisse apercevoir, par ses larges haies, garnies de jolies grilles en fer forgé, le champ de repos de nos amis à quatre pattes, en avant duquel se dresse, superbe, le monument élevé au plus célèbre et au plus méritant de tous ses congénères, au chien du Saint-Bernard, le brave Barry “qui sauva la vie de 40 personnes et fut tué, par la 41e”. »

Dès les premières années qui suivent sa création, le cimetière des chiens connaît un grand succès. Il accueille les dépouilles des animaux domestiques, chiens, chats, poules, tortues ou oiseaux, mais aussi des chevaux ou des lions.

Pour certains, sont construits des monuments imposants – et d’un goût parfois douteux. 

Immanquablement, Le Journal amusant s’en amuse : 

« Les étrangers et beaucoup de bons esprits se scandalisent des mausolées luxueux du cimetière de chiens à Asnières. Insensibles à la piété, ils se rient des inscriptions gravées dans le marbre pur, comme cet :

“HOMMAGE À LOULOU (1895-1903)
Témoignage de Reconnaissance d'une mère à qui Loulou rendit son enfant, qui, en 1895, se noyait dans la Garonne.
(Le brave Loulou n’avait que 9 mois – et, en plus, une patte cassée...)”

Ou encore 

“Plus je vois les hommes, plus j'aime mon chien.”
PASCAL
 »

Vingt ans après sa création, pas moins de 20 000 animaux regrettés y sont enterrés, nous apprend L'Aurore : 

« 15 000 appartiennent à la race canine ; l'on y compte plus de 4 000 chats.

Le reste se compose d'animaux divers : sept chevaux, six singes, un veau, deux chèvres, un lion, une panthère, dix perroquets, six poules, un coq, dix serins, quatre pigeons, une oie apportée récemment, etc. »

Au fil des ans, le cimetière se peuple d’animaux de renom – chevaux de course réputés, chiens de princesses, ainsi que les animaux de compagnie de personnalités diverses : le compositeur Camille Saint-Saëns, le poète Sully Prudhomme, le polémiste Henri Rochefort, ou les écrivains Edmond Rostand et Sacha Guitry… 

Dans les années 1930, l'un des gardiens du cimetière n’est autre que le filleul d’Alexandre Dumas. Il offre en 1938 une savoureuse visite guidée à un journaliste de Paris-Soir, Henri Poulain – ça ne s’invente pas. Et Poulain de raconter cette fascinante promenade sur « cette île [qui] sert de Champs-Élysées aux toutous défunts, avec un portique dans le plus mauvais goût des gares » : 

« Nous saluons Zouzou, “perroquet mort à l'âge de 45 ans”, deux lionceaux de granit, enfants de cirque, des pigeons voyageurs et une dalle qui paraît immense. [...]

Mais une dame est entrée :

– Monsieur, commence-t-elle, bien que vous soyez, je pense, un nouvel employé, pouvez-vous me dire quand le monument de ma Chipette sera prêt ? Je paierai ce qu'il faudra, mais voilà aujourd'hui quatre mois que la pauvre chérie est morte et les travaux ne sont pas commencés. »

Le cimetière des chiens a depuis été inscrit à l'inventaire des Monuments historiques. Des dizaines de milliers d'animaux y reposent aujourd’hui, tandis que des centaines de touristes intrigués s'y pressent chaque année.