Abstention, vote blanc : la presse donne son avis
Depuis les débuts de la IIIe République, de nombreux éditorialistes ont évoqué l'abstention et le vote blanc, souvent pour les condamner.
L'abstention et le vote blanc sont aussi vieux que le suffrage universel (masculin). Ce sont aussi, pour les Français qui s'apprêtent à être consultés électoralement, une nouveauté. Et depuis l'instauration de la IIIème République, les éditorialistes ne se gênent pas pour donner leur avis, parfois tranché, sur le choix de ne pas voter aux élections, ou de n'y voter pour personne, les deux options étant souvent assimilées l'une à l'autre.
En 1876, alors qu'ont lieu les toutes premières élections de la nouvelle République depuis les lois constituantes de 1875, Francis Charmes, du Journal des débats politiques et littéraires, est catégorique : s'abstenir ou voter blanc, ça ne sert à rien.
"Le bulletin blanc ne compte point ; il est comme s'il n'existait pas […]. Les hommes les plus divers mêlent dans l'urne électorale leurs bulletins anonymes ; ils se confondent avec les mécontents de toutes les nuances, les sceptiques, les fantasques, et les mauvais plaisants. Les hommes d'action, les électeurs sensés, à quelque parti qu'ils appartiennent, les ouvriers, les paysans, esprits francs et fermes qui vont droit au but, comprennent cela d'instinct. [...] L'abstention voulue, calculée, réfléchie, est le fait d'esprits chagrins, blasés, désabusés, hargneux, jaloux, parmi lesquels il faut compter aussi quelques originaux et quelques naïfs."
La même année, Eugène Liebert, du XIXe siècle, est encore plus clair :
"Le bulletin blanc ne signifie rien ; il n'est même pas un moyen indirect de faire échec à une candidature puisqu'au terme de la loi, il n'entre point en compte dans le résultat du dépouillement. […] Le bulletin blanc, en tout état de cause, est une faute, et de plus, une niaiserie."
En 1881, L’Echo de la montagne affirme :
"L’abstention, c’est l’indice d’un manque de caractère ; c’est un abandon calculé quelquefois, mais condamnable toujours, du plus grand droit que. tout citoyen puisse exercer : celui de l’affirmation de sa volonté. [...] L’irrésolu est, en général, un peureux. C’est souvent un ignorant. Montrez-lui que sa peur n’est pas fondée, il votera ; apprenez-lui que son abstention est une négation de ses droits civiques, il votera encore."
Un éditorialiste du XIXe siècle, en 1907, s'efforce quant à lui de comprendre les abstentionnistes, victimes du "doute" :
"Les abstentions s'expliquent diversement. Mais la cause profonde des abstentions, leur cause directe, capitale, c'est le défaut d'enthousiasme, c'est le scepticisme sur la valeur du bulletin de vote. L'abstention indique donc chez l'électeur, non pas un sentiment de désaffection, mais un malaise d'esprit, un mécontentement intime et confus de la marche générale des choses, et comme il appréhende d'être dupe, il abandonne les urnes à ceux dont la foi, plus robuste, résiste encore ; la sienne commence à vaciller. L'abstention, c'est le premier symptôme, la première manifestation du doute."
Tandis qu'en 1908, on constate l'apparition, dans les colonnes du Petit Journal, d'un argument anti-abstention appelé à faire florès :
"Quel singulier peuple nous sommes, peuple d'enfants, qui se convulsionne pour avoir un jouet, le méprise et le jette dans un coin dès qu'il l'a obtenu. On a barricadé, on a risqué sa vie pour obtenir le suffrage universel. Maintenant qu'on l'a, on ne vote pas : le jouet ayant cessé de plaire."
Et le journaliste, favorable à l'instauration du vote obligatoire, d'ajouter :
"Le jour où l'abstention serait soulignée d'une bonne amende, voire d'un peu de prison, on se précipiterait aux urnes avec enthousiasme et ça serait le triomphe du sens commun."
Mais le jugement le plus définitif est peut-être celui d'Octave Aubert de L'Ouest-Eclair qui affirme en 1936 :
"L'abstention est une maladie qu'il faudrait soigner et guérir."
En France, malgré de nombreuses propositions de loi allant dans ce sens, le vote blanc n'a jamais été reconnu.