"L'Humanité" donne la parole aux colonisés
En 1929, L'Humanité ouvre ses pages à des "indigènes" des colonies françaises. Ceux-ci témoignent de leurs conditions de vie et de travail, mais aussi de leur engagement aux côtés du Parti communiste.
Dans l'entre-deux guerres, à rebours de l'idéologie dominante (le "parti colonial"), L'Humanité et le Parti communiste se font les champions de l'anticolonialisme en France. Ainsi, le 25 novembre 1929, L'Humanité inaugure une nouvelle rubrique hebdomadaire consacrée aux colonies. Le quotidien s'en explique :
"Il importe que les travailleurs de France sachent que l'exploitation honteuse dans les colonies, non seulement ne leur rapporte rien, mais contribue encore à renforcer le joug esclavagiste qui pèse sur leur dos."
Le moment est opportun : en France, on s'apprête à fêter le centenaire de la colonisation algérienne.
Dès le 28, le journal consacre une pleine page à la question coloniale, titrée "Tortures, brimades, spoliations : voilà l'œuvre de la colonisation", et entièrement rédigée par "des indigènes coloniaux". Ceux-ci, explique le quotidien, "rétablissent la vérité : ils dépeignent leurs misères, leur exploitation, les brimades, la répression féroce dont ils sont l'objet, les luttes qu'ils engagent ; ils disent leurs espérances et leur foi dans le Parti Communiste et l'U.R.S.S.".
On trouve d'abord dans cette page un grand article sur Madagascar, sous domination française depuis 1882. Écrit par "un groupe de Malgaches", l'article dénonce les conditions de vie des ouvriers au service des colons.
"En 1922, huit indigènes ont été électrocutés à Tananarive par M. Guinaudeau, directeur d'une grande Compagnie d'électricité, président de la Chambre de Commerce et membre du Conseil d'administration général de Madagascar. Il voulait faire avouer à ces indigènes qu'ils étaient les auteurs d'un vol de 5.000 francs. M. Guinaudeau a été condamné à 16 francs d'amende pour avoir assassiné huit indigènes."
Un autre article évoque les expropriations en Afrique équatoriale.
"Il ne suffit plus à l'impérialisme d'exploiter et de torturer les nègres, il faut les acculer à la misère par des expropriations forcées sous le signe d'utilité publique, et de civilisation. Enrichir quelques blancs au détriment des noirs, leur voler les terres dont ils jouissent depuis des millénaires. Civilisation aussi. À bas l'expropriation ! L'Afrique aux Africains !"
Le numéro du 28 s'intéresse aussi aux colonies du Maghreb. Suivront, dans les numéros ultérieurs, des articles consacrés à la répression dans les îles Samoa, à la politique coloniale en Indochine ou encore à la situation des ouvriers et paysans d'Algérie.