Méditations sur le foie gras
Ou quand l'écrivain et journaliste Timothée Trimm dénonçait, en 1868, le gavage des oies, "un supplice qui rappelle les horreurs de la torture".
"Une maison de Périgueux m'a envoyé, le mois dernier, un superbe pâté de foie gras". Ce régal quelque peu coupable pousse, en 1868, l'écrivain et journaliste Timothée Trimm, l'un des fondateurs du Petit Journal, à prendre sa plume (d'oie) pour livrer ses "méditations sur le foie gras". Et d'abord pour rétablir l'oie elle-même, "pas plus sotte que d'autres volatiles auxquels on a fait une réputation de clairvoyance et d'esprit" :
"L'oie est susceptible de vigilance, d'adresse et d'attachement.
Certaines oies veillent à la garde de la maison et tournent même la broche comme un chien.
Lorsque, vers l'an de Rome 365, les Romains escaladaient déjà le Capitole, on vit les oies sacrées, par le battement de leurs ailes et par leurs cris, appeler aux armes les Romains endormis.
Lacyde, le disciple chéri d'Ancesilas, eut une oie qui l'avait pris tellement en amitié que, nuit et jour, seul ou en public, il en était suivi comme aurait fait un chien.
L'oie n'est donc pas une bête stupide."
Timothée Trimm s'emploie alors à décrire le procédé de gavage, "un supplice qui rappelle les horreurs de la torture" :
"On prend une oie, une pauvre oie domestique, jouissant jusqu'alors, dans le poulailler, de toute sa liberté individuelle.
On la saisit malgré ses cris, qui ont pu émouvoir les Gaulois envahisseurs, mais qui ne touchent aucunement les cœurs bronzés de nos marchands de comestibles. On enferme l'oie dans une cage où seule la tête peut sortir. La bête peut boire et manger mais non se mouvoir en liberté.
Cette cage est mise dans une cave obscure, car le défaut de lumière et l'esclavage font engraisser. L’on empâte le volatile, on lui fait manger, par force, une quantité considérable de maïs. On le lui fourre violemment dans le bec quand la déglutition naturelle ne se présente pas facilement. Ce régime fait gonfler extraordinairement le foie des oies.
L'animal en use pendant quatre semaines avant d'arriver à l'état requis par les exigences de la gastronomie. Souvent, à la troisième semaine, il meurt étouffé, et n'en est pas moins bon."
Le chroniqueur rappelle que la Société protectrice des animaux demandait, déjà, "une mort prompte, par le couteau de la cuisinière"...