Écho de presse

1918 : Les saucisses gonflables « contre les avions boches »

le 28/05/2018 par Marina Bellot
le 11/04/2018 par Marina Bellot - modifié le 28/05/2018
Départ en reconnaissance d'un ballon captif militaire, Agence Roi, 1915 - source : Gallica-BnF

En avril 1918, des ballons captifs, appelés saucisses, apparaissent dans le ciel de Paris. Leur mission : empêcher les raids nocturnes des redoutables gothas allemands.

Avril 1918. Alors que depuis le début de l’année, des bombardiers allemands gothas larguent des bombes sur la capitale, les journaux annoncent qu’une nouvelle mesure de protection vient d'être prise dans l'enceinte du camp retranché de Paris : la mise en place de « saucisses militaires ».                             

Le Journal détaille : 

« Nous avions déjà les avions de chasse, puis les canons dont les tirs de barrage permettent, à l'heure actuelle, de balayer le ciel à toutes les altitudes que peut atteindre l'aéroplane ennemi.

Nous avons, désormais, la permission d'annoncer l'apparition des “saucisses”, ballons captifs reliés par d'immenses fils métalliques qui sont, qu'on nous passe la métaphore, comme des collets tendus dans l'espace, sur le passage des avions boches, à des altitudes inconnues et variées. »

De son côté, Le Petit Journal commente la nouvelle sur un ton badin : 

« Paris a de nouveaux gardiens, de nouvelles gardiennes plutôt : des saucisses. Ces saucisses n'ont rien d'alimentaire ; elles sont militaires. C'est tout dire de leur rôle. À la vérité, l'appellation de saucisson leur conviendrait mieux. Leur forme inciterait volontiers à leur donner ce nom. Mais ne nous insurgeons pas contre le règlement. Saucisses elles sont, saucisses elles demeureront.

Jaunes canari, striées de raies brunes, gonflées, boursouflées à la manière de certains boudins blancs pleins à crever, elles se prélassent le jour, pareilles à d'énormes chenilles trop grasses, sur le sol où maints cordages et sacs de lest les retiennent prisonnières. 

[...] Quand vient le soir, les saucisses s'éveillent : l'heure d'être utiles sonne alors pour elles. Elles montent vers le ciel, devenues légères, pour veiller sur nous tous. Très haut, très haut, elles planeront jusqu'au retour de l'aube. [...]

Dormez, habitants de Paris : les saucisses, gardiennes vigilantes, veillent sur vous. »

Les Annales politiques et littéraires donnent tous les détails et caractéristiques techniques de ce nouvel engin :

« Chacun connaît aujourd'hui la forme de la carène allongée caractéristique de nos “saucisses”. Cette carène et [sic] munie de quatre câbles métalliques aboutissant au câble de remorque, d'une nacelle pour les observateurs, d'un ballonnet et de deux ailerons. Le câble de remorque s'enroule sur un treuil à moteur automobile qui, suivant sa puissance, permet de ramener plus ou moins rapidement, à terre, le ballon captif. [...]

Les ballons captifs allongés, actuellement en service dans l'armée française, mesurent 25 mètres de long et 8 mètres de diamètre au maximum. Leur volume est d'environ 800 mètres cubes. [...] 

[La] nacelle comporte le plus souvent un parachute de 80 mètres carrés de développement, muni d'une bretelle amovible qui soutient l'observateur et le libère au contact du sol, pour éviter à celui-ci d'être traîné à terre par grand vent. »

Cependant, ces saucisses sont-elles réellement efficaces ? Nombre de commentateurs avisés en doutent, comme ce journaliste du magazine sportif La Vie au grand air :

« Le Boche observe une tactique qui va mieux à son caractère. C'est l'attaque de l'Apache qui se cache dans une embrasure de porte et vous assaille dans le dos : par une nuit très noire, semblant interdire le moindre vol, il surgit tout à coup en troupe, se sachant en sécurité presque totale là-haut. [...]

Les filets ? Ils sont formés de mailles très larges et tendus entre les câbles de saucisses. Leur effet est plutôt moral, car ils ne peuvent être élevés très haut et ne protègent que de bien minimes emplacements sur une agglomération aussi importante que Paris.

Le Boche peut les redouter, lui, mais il en a placé autour de nombreuses usines souvent attaquées par nous.

Les nôtres connaissent leur existence, qui ne les a jamais influencés, et n'en ont jamais souffert. »

La France deviendra à partir de 1915 la première puissance dans le domaine des ballons captifs. Près de 4200 ballons seront construits à des fins d'observation et de protection du territoire : 1700 ballons d’observation et quelque 2500 ballons dits « de barrage » – comme les saucisses de Paris.