Écho de presse

Les « fléchettes », abominables petites bombes aériennes de la Grande Guerre

le 13/05/2020 par Michèle Pedinielli
le 02/10/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 13/05/2020
Vol d'un avion français au dessus d'une mer de nuages pendant la Première Guerre mondiale, 1916 - source : Gallica-BnF
Vol d'un avion français au dessus d'une mer de nuages pendant la Première Guerre mondiale, 1916 - source : Gallica-BnF

Le premier conflit mondial voit l’apparition de petits tubes d’acier largués depuis les airs, et capables de transpercer casques et crânes. Les fléchettes, d’invention française, domineront la guerre aérienne pendant l’année 1915.

En janvier 1915, un rédacteur du Journal de Montélimar assiste à l’étrange bombardement du front allemand par un avion français. Manifestement ravi, l’auteur narre la mort « subite » d’un soldat allemand avec enthousiasme.

« Plusieurs fois je crus l’avion perdu, mais il réussit à passer cette zone dangereuse, et, décrivant un vaste cercle, il alla lâcher plus loin, le long de la ligne allemande plusieurs bombes qui éclatèrent à cent mètres d’altitude.

Cela me parut curieux et je ne sus que plus tard que ces projectiles contenaient une nuée de fléchettes qui étaient alors inconnues des Allemands et dont je pus constater l’effet terrible sur un malheureux hussard prussien qui fut transpercé du sommet du crâne à la plante du pied droit !

Je me souviens même qu’on nous raconta que ce malheureux était mort si subitement, que sa main resta crispée à la bride de son cheval et que son cadavre fut ainsi tiré par la monture le long de la route sur l’espace de cinquante mètres. »

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Ces « fléchettes » sont une toute nouvelle arme développée par le colonel Bon (d’où le nom commun de « fléchette Bon ») à partir des idées de l’ingénieur français Clément Ader dans son livre intitulé L’Aviation militaire.

L’aspect banal et inoffensif de cette petite fléchette cache une efficacité redoutable.

« Enfin, les fléchettes, dont on a tant parlé, sont de simples petits traits d'acier, en forme de crayon très pointu, creusé à sa partie postérieure de quatre rainures qui lui servent d'empennage.

Le modèle le plus couramment employé par les aviateurs français pèse 17 grammes. Il est long de 12 cm, et épais de 8 mm. Ce sont assez exactement les dimensions d'un petit crayon.

En dépit de son apparence anodine cette fléchette tombant de 2 000 ou 3 000 mètres peut traverser un homme de l’épaule au bassin. »

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Pendant cette année 1915, l’emploi de ce nouveau et mesquin projectile constitue une véritable stratégie de guerre aérienne. Les aviateurs disposent de boites contenant quelque 500 fléchettes, qu’ils ouvrent en tirant sur un cordon.

Les petits tubes d’acier se déversent alors en éventail et arrosent la cible. Une nouvelle fois, le rédacteur semble prendre un plaisir véritable à disserter sur la terreur sourde exercée par cette arme sur l’ennemi.

« Chaque appareil en emportera plusieurs milliers, et c'est par cinquante ou cent aéroplanes que cette pluie de dards d'acier sera effectuée.

Dès qu'ils se trouveront au-dessus d'une armée en déroute, ils déclencheront leur chargement, et, grâce à l'éparpillement de ces engins meurtriers, du ciel semblera tomber un déluge atroce, odieux, infernal. La fléchette qui atteint l'épaule sort par le pied.

Elle tue presque toujours celui qui la reçoit et ceux qui survivent ont des blessures affreuses. »

Dans le même mouvement, la peur que cette nouvelle arme inspire dans le camp adverse réjouit la presse française. On se gausse donc sans la moindre décence de Guillaume de Prusse, le « kronprinz […] à profil de mouton », dont la voiture a été prise sous une pluie de fléchettes.

« Récemment, le kronprinz allait en automobile, de Varennes-en-Argonne vers Aubreville. Un avion apparut dans le ciel. Un avion français ! Exactement au-dessus de l'automobile ! Et tout prêt, sans doute, à faire pleuvoir des obus de marque ou d'innombrables fléchettes !

Une épouvante sans nom saisit aux entrailles le prince à profil de mouton et à pattes de faucheux. Éperdu, il s'élança hors de la route dont le blanc ruban lui paraissait une cible. Tout à coup, il entendit un crépitement dans une haie voisine. Les fléchettes ! C'étaient pour le moins les fléchettes maudites.

Alors il eut recours à la seule protection passible : il se glissa sous l'automobile et y demeura à plat ventre, haletant, suant d'effroi. »

Les Allemands ne seront toutefois pas en reste et en septembre 1915, leur aviation prendra pour cible, dans un similaire élan de cynisme, une installation de la Croix-Rouge basée à Compiègne.

« Deux avions boches, ayant aperçu le drapeau de la Croix-Rouge qui signalait une ambulance, s'empressèrent de la bombarder. Voilà qui est banal.

Ce qui l'est moins, c'est qu'avant de fuir sous la canonnade de nos batteries, les bandits boches laissèrent choir leurs cartes de visite. D'un côté, elles portaient ces deux mots : fabrication allemande. De l'autre : invention française.

Et c'étaient des fléchettes, qui, d'ailleurs, n'avaient blessé personne. »

Les Français resteront cependant les plus grands utilisateurs de fléchettes en cette année 1915, établissant même un « record » de 18 000  projectiles largués par un seul aviateur en une journée.

Cette arme sera abandonnée progressivement pendant la guerre au profit de bombes plus efficaces et plus précises. Les fléchettes seront à nouveau utilisées par l’armée américaine au cours la guerre du Vietnam sous le nom sibyllin de « Lazy dogs ».

Pour en savoir plus :

Jean Nicot, L’histoire de la Première Guerre mondiale : l'apport des Archives de l’Armée, in: Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1968, via persee.fr

Philippe Bernard, À propos de la stratégie aérienne pendant la Première Guerre mondiale, in: Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1969, via persee.fr

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