L'horreur en images : le concours de photos amateurs du Miroir en 1915
Horribles, directes, souvent émouvantes, ces photos prises au front par des Poilus et publiées entre 1915 et 1918 livrent un témoignage saisissant du cauchemar de la Première Guerre mondiale.
Le 21 mars 1915, Le Miroir, luxueuse revue illustrée, annonce à ses lecteurs le lancement d'un grand concours de photographies :
« Le Miroir, désireux d'assurer à ses lecteurs une documentation unique, offre une prime de 30 000 francs à l'auteur de la plus saisissante Photographie de Guerre […]. Toutes les autres photographies retenues ou insérées, à partir du 1er Avril prochain jusqu'à la fin des hostilités, seront payées à leurs auteurs selon l'intérêt qu'elles offriront (Minimum 20 francs).
Prière de nous adresser les clichés dès qu'ils seront faits afin qu'ils ne perdent pas de leur intérêt d'actualité. Il est indispensable d'y joindre des légendes détaillées. Rappelons que nos primes seront données uniquement aux Amateurs. »
Les sommes proposées, énormes, vont susciter un envoi massif de photos.
En effet, à une époque où les appareils photos portatifs commencent à être commercialisés, il y a dans le public de l'arrière une forte demande de « vraies » images des combats. Jusqu'ici, censure oblige, les revues qui publient des photographies n'en montrent qu'une version enjolivée : généraux français passant en revue leurs troupes, soldats allemands faits prisonniers ou actes de bravoure racontés après-coup.
Le Miroir (mais aussi L'Illustration) va partiellement changer la donne. Pendant trois ans, le journal va publier chaque semaine, de façon anonyme, des clichés montrant du conflit un visage beaucoup plus proche de la vérité, avec toute sa violence : photos prises pendant la confusion des combats, destructions, laideur des tranchées, et surtout cadavres en gros plan.
Des photos prises surtout par les officiers, seuls à posséder des appareils encore coûteux (en particulier le Vest pocket de Kodak). Ces images n'échappent toutefois pas tout à fait à la censure, qui les contrôle systématiquement : les cadavres photographiés sont bien souvent ceux de l'ennemi et les mutilations atroces des soldats français sont passées sous silence.
Pour la première fois, des photos prises au cœur des combats sont publiées. Ici, on voit un obus éclater au moment où une troupe de Dragons s'élance sur le champ de bataille, une prouesse technique sur laquelle insiste la légende de la photo :
L'horreur s'invite dans les pages du Miroir à la vue du corps de cet Allemand projeté dans un arbre, dans ce cliché morbide auquel le journal donne le titre de « L'épouvantail » :
Nouvelle vision insupportable : après un combat au Piton de Vauquois, la tête d'un mort allemand enfoui dans des décombres, qui « semble guetter encore ».
Là, une tranchée remplie de cadavres allemands. Le texte raconte que ces soldats ont été surpris par la même salve de mitrailleuse, les tuant tous d'un coup.
Sur cette photo, on voit les cadavres entremêlés d'un Français et d'un Allemand ayant lutté à mort :
Les photographies du Miroir documentent aussi les destructions faites par l'adversaire. Reims, largement détruite, devient ainsi le symbole de la « barbarie » allemande. Ses ruines se couvrent de neige dans ces clichés publiés en février 1917 :
La publication de ces photos est aussi l'occasion, pour ceux de l'arrière, d'en apprendre sur la vie quotidienne des Poilus. On découvre ici à quoi ressemble une « chambre à coucher » dans les tranchées :
L'humour, pour conjurer l'enfer du quotidien, n'est pas toujours absent de ces témoignages visuels. On voit ici, par exemple, un soldat anglais faisant mine de se reposer dans un lit au milieu des décombres :
Dans cette photo dont le journal assure l'authenticité, on voit des Poilus jouant au bridge le visage revêtu de masques, pendant une attaque au gaz asphyxiant.
Ici, un chien et son maître sont photographiés tous les deux couverts d'un masque :
Pendant toute la durée du conflit, Le Miroir, lu surtout par un public aisé, rencontrera un vaste succès : environ 1 million d'exemplaires par semaine en 1918. L'écrivain Blaise Cendrars racontera plus tard avoir souvent envoyé ses photos au journal – lequel ne donne jamais le nom des auteurs des clichés qu'il publie.
Les photographies prises pendant la Première Guerre mondiale marqueront les débuts du photojournalisme de guerre. Un genre qui se perfectionnera pendant la guerre d'Espagne puis la Seconde Guerre mondiale. Des photographes comme Robert Capa feront alors de la photo l'outil le plus puissant pour rendre compte du réel dans toute sa violence.
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Pour en savoir plus :
Antoine Prost, La Grande Guerre expliquée en images, Le Seuil, 2013
Frédéric Rousseau, La Guerre censurée, une histoire des combattants européens de 14-18, Points histoire, 2014
Jean-Pierre Guéno, Les Poilus, lettres et témoignages des Français dans la Grande Guerre (1914-1918), Les Arènes, 2013