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RetroNews | la Revue n°3
Au sommaire : un autre regard sur les explorations, l'âge d'or du cinéma populaire, et un retour sur la construction du roman national.
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Plusieurs agences de photos célèbres se disputent la couverture du conflit italo-éthiopien de 1935. Parmi elles, les agences Rapho et Trampus inondent les pages des grands titres français de leurs clichés de toute beauté.
Bien que créée en 1933, l’agence photo Rapho s’est déjà taillé une solide réputation au moment du conflit italo-éthiopien. Et pour cause : derrière son nom se cachent une kyrielle de photographes talentueux qui, au long des années 1930, tour à tour informeront, illustreront ou égaieront les pages des périodiques.
Le photographe hongrois exilé à Paris Charles Rado l’a créée et la dirige. Il s’est entouré à sa fondation de son compatriote Brassaï, bien connu dès lors à Paris, de ses compatriotes exilées Nora Dumas et Ergy Landau, de l’autrichienne Ylla ou d’Emile Savitry.
L’agence Rapho est présente en Ethiopie notamment pour le compte de La Dépêche de Toulouse.
Le photoreporter, présent dans ce pays si éloigné et si inconnu, y donne d’abord à voir au lecteur des paysages, décor de la guerre à venir, décor de la guerre qui n’est pas loin. Ensuite, au fil des semaines seront surtout présentes des photographies qui diront la guerre, même si sans toujours la montrer. Car on le sait, le photoreportage de guerre, ce sont aussi les photos de l’arrière. Des photos qui attestent de la popularité dont jouit le Négus, comme en ce 30 octobre 1935, où La Dépêche titre la photo : « L’Empereur est fêté par ses sujets » :
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Et puisque nous sommes « à l’arrière », que font les femmes éthiopiennes ? Eh bien, elles « ont le sourire », comme l’indique la Une du 12 décembre 1935, image (presque) à l’appui :
Arrêtons-nous quelques petits instants sur la légende de cette photo, où le « calme » de ces femmes est mis en avant, et ce malgré « la menace des avions ». Cette thématique sera fondamentale chez les reporters de plume lors de la guerre d’Espagne afin de décrire l’héroïsme de la population civile, et de façon corrélée son assurance de la justesse du combat mené contre l’oppresseur. La « montée des périls » (Jules Romains) a bien débuté.
Puis les photoreporters se meuvent plus près des combattants. L’agence Rapho dévoile l’armée éthiopienne qui « s’organise » (18 novembre 1935) ; « Les futurs soldats du Négus » (3 décembre 1935) :
La légende relève avec une certaine condescendance que ces soldats – nommés « Boyscouts – « ont belle allure », puisque « L’Abyssinie s’est inspirée de son mieux des mœurs et institutions des nations constituées » …
Plus près encore des combats se trouve l’agence Trampus, elle aussi parisienne et elle aussi fondée par un Hongrois, Charles Trampus, en 1905. Cette agence très estimée et rompue aux transactions, a vendu ses photos à divers périodiques dont Le Phare de la Loire. Le 14 octobre 1935, un reportage à la Société des Nations sur les sanctions à délivrer contre l’Italie s’y ouvre par une photo d’« Une tranchée éthiopienne à Gerlogubi », comme un sous-texte à l’exposé de l’article, comme pour rappeler ce qu’est la guerre et ce que les Ethiopiens endurent du fait de l’agression italienne :
Il arrive que dans un quotidien la photographie illustre directement un article, et là peut s’exprimer l’art du portrait, celui du civil homme ou femme, celui du combattant ; en ce 25 décembre 1935, dans La Dépêche de Toulouse, un portrait de groupe, des « artilleurs du négus à leurs pièces » – même si l’œil se fixe au premier plan, sur le premier des soldats – est réalisé par l’agence Rapho :
Les portraits, certains hebdomadaires illustrés s’en sont fait les spécialistes, tel Regards, dont la ligne éditoriale épouse sans le dire la politique du parti communiste. Cet hebdomadaire excelle, comme son confrère et pionnier Vu, dans l’usage des photos pleine page, en Une, lesquelles sont, souvent, non-créditées. En ce 17 octobre 1935, on découvre ce combattant, à l’appui d’une interrogation, « L’Italie vaincra-t-elle l’Ethiopie ? » dont on devine, pourtant, la triste réponse :
En ce 10 octobre 1935, toujours dans Regards, la Une est un réquisitoire contre la guerre et le fascisme impérialiste italien : on contemple cette femme et son enfant, paisibles, et qui ne demandent qu’à vivre :
Si nous avons fait ci-dessus connaissance avec « ceux de l’arrière », la guerre ne manque pas vite, très vite, de produire des images de réfugiés que l’on envoie loin des combats. C’est l’agence Trampus qui signe l’un de ces clichés, le 15 octobre 1935, dans Le Phare de La Loire :
Les refuges, ce sont aussi, quand on n’a pas les moyens de se déplacer, quand on n’est pas venu à votre aide, juste quelques mètres pour se tenir loin de la mitraille. Une situation que connaissent les femmes et les enfants comme l’expose Regards en ses pages intérieures, le 17 octobre 1935. « Dans la province du Harrar femmes et enfants vont se réfugier à proximité de la ligne de chemin de fer », indique la légende :
« Photos exclusives Regards », mentionne cette fois-ci l’hebdomadaire. Mais en fait, cette photo sera vendue, ultérieurement, à La Dépêche de Toulouse, créditée « Photo Rapho », ce qui nous indique à la fois sa provenance et combien l’exclusivité peut parfois être passagère. Une précision, en outre : dans ce dernier périodique, la légende apprendra au lecteur, preuve à l’appui de cette même photo, que, « dans certaines tribus », femmes et enfants suivent les hommes au front…
En somme, cet épisode nous enseigne ce que d’autres conflits, d’autres guerres nous montreront : les légendes formulées par les rédactions sont souvent à prendre beaucoup plus avec des pincettes critiques que les clichés des reporters…
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Anne Mathieu est historienne, spécialiste du reportage de guerre, politique ou social, ainsi que des autres genres journalistiques confrontés aux événements politiques ou sociaux. Elle est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches à l’université de Lorraine et membre de l'Equipe Plurielles de l'Université Bordeaux Montaigne.