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Avant la Commune : la « Déclaration » du Cri du Peuple

le 24/10/2023 par Le Cri du Peuple
le 15/05/2023 par Le Cri du Peuple - modifié le 24/10/2023

Le 1er mars 1871, le journal de Jules Vallès et Pierre Denis adresse aux comités de l’Internationale socialiste un appel ; il est désormais hors de question de prendre les armes contre l’armée prussienne. Le but est tout autre : renverser la République d’Adolphe Thiers.

Au début du mois de mars 1871, le « peuple de Paris » semble exténué. Après quatre mois de siège marqué par la disette et une élection au mois de février ayant vu triompher les monarchistes à la Chambre, la colère gronde. Le gouvernement d’Adolphe Thiers ne s’y trompe pas, et regarde avec défiance la capitale blessée où les sociétés socialistes s’organisent. L’organe du militant Pierre Denis et du journaliste Jules Vallès Le Cri du peuple est créé le 22 février.

Le 1er mars, le journal publie une longue « déclaration » à l’intention de l’ensemble des délégations socialistes sur le qui-vive. Elle met en évidence la volonté de ne pas entrer en conflit avec « l’envahisseur » prussien aux portes de la capitale, pour se concentrer sur la réalisation possible et imminente d’une république sociale.

Tandis qu’il travaille sur les futurs accords de paix avec la Prusse, le 10 mars, Thiers décide de réinstaller le gouvernement à Versailles. Paris n’est plus « capitale ». Le 18, c’est l’insurrection à Montmartre et le début de ce moment que l’on appellera bientôt la Commune. Le Cri du peuple deviendra le journal le plus lu de ce printemps si particulier.

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DÉCLARATION

De nombreuses délégations se sont présentées à la Corderie, depuis qu’il est question de l’entrée des Prussiens, et ont déclaré qu’elles pensaient trouver là une organisation militaire toute prête pour marcher contre l’envahisseur lorsqu’il mettrait le pied dans Paris.

Les membres présents ayant prié les délégués quels groupes ils représentaient, il a été cité des noms de citoyens qui n’ont reçu aucun mandat des comités suivants constituant la réunion de la Corderie :

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS

CHAMBRE FÉDÉRALE DES SOCIÉTÉS OUVRIÈRES

DÉLÉGATION COMMUNALE DES SOCIÉTÉS OUVRIÈRES

Dans ces circonstances, les trois groupes de la Corderie informent les travailleurs de Paris qu’ils n’ont donné aucun mandat à personne au sujet d’une action contre les Prussiens.

Les membres présents croient de leur devoir de déclarer que, dans leur pensée, toute attaque servirait à désigner le peuple aux coups des ennemis de la Révolution, monarchistes allemands ou français, qui noieraient les revendications sociales dans un fleuve de sang.

Nous nous souvenons des lugubres journées de juin.

­Ch. BESLEY, Henri GOULLET, C. ROCHAT, de l’Internationale.

AVRIAL, PINDY, ROUVEYROL, de la Chambre fédérale des Sociétés ouvrières.

Ant. ARNAUD, Léo MELLIET, Jules VALLES, de la Délégation communale des vingt arrondissements.

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SÉANCES DES COMITÉS RÉUNIS

Place de la Corderie, n° 6.

EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DU 27 FÉVRIER 1871

Présidence du citoyen Jules Vallès

Le président communique à l'assemblée les renseignements arrivés à la permanence.

Dans la soirée d'hier, dimanche, des délégués de divers bataillons se sont présentés à la permanence, porteurs d'ordres signés de citoyens se disant membres de l'Internationale, demandant des instructions précises et des munitions.

L'Internationale n'ayant donné aucun ordre et n'ayant à distribuer aucune munition, l'assemblée s'émeut profondément de cette déclaration et abandonne son ordre du jour pour éclaircir cette grave question.

Le citoyen AVRIAL annonce qu'il existe à la mairie du Temple un comité, dit Comité central, de la garde nationale. Il y eu, à son avis, une confusion. Les porteurs d'ordres, trompés par la qualité que s'arrogeaient les signataires, se seront rendus au siège de l'Internationale, croyant s'adresser au Comité.

VIARD. — Le Comité central de la garde nationale a été fondé primitivement par M. Vrignault, du journal la Liberté. Ce fait seul doit être une raison pour tout républicain de ne pas répondre aux convocations du Comité.

PINDY croit savoir que le comité a quitté la mairie du Temple, et on ignore s'il continue de fonctionner.

Léo MELLIET. — Les événements qui s'accomplissent depuis 24 heures me semblent mériter l'attention de l'assemblée. D'où part l'initiative du mouvement, je n'en sais rien. L'intérêt des travailleurs les oblige-t-ils à la résistance ? — Non. A mon avis, la lutte engagée dans de pareilles circonstances serait la mort de la République et la ruine de l'avenir social. On m'annonce que cette nuit les citoyens Piazza et Brunei ont été arrachés de Sainte Pélagie ; qui a songé à délivrer les prisonniers du 22 janvier ? Et ceux-là n'avaient-ils pas aussi joué leur vie pour empêcher la capitulation ? Cet oubli me confirme dans l'idée que l'initiative du mouvement ne part pas des groupes socialistes et qu'il ne faut pas s'y associer. Je demande la nomination d'une commission chargée de rédiger un manifeste à tous les travailleurs pour les engager à renoncer à une lutte qui ne peut qu'être fatale à la République.

MONESTES. — Il faut s'abstenir pour deux motifs : 1° A quoi servirait la mort de trente mille ennemis ? — 2° La résistance ne peut profiter qu'à la réaction. Le parti socialiste doit réserver ses forces pour une meilleure occasion.

AVRIAL. — Il y a eu hier deux mouvements très distincts : l'un appelait aux armes pour aller à la rencontre des Prussiens ; l'autre pour protester contre l'envahissement par la troupe de la place de la Bastille.

L'Internationale doit dégager sa responsabilité de toute excitation sans avantage pour la République et dont pourrait tirer parti la réaction.

CH. BESLAY adopte les conclusions des orateurs. — La réaction veut nous écraser par les Prussiens ; il ne faut pas être sa dupe. Il faut aller vite ; on n'a pas le temps de rédiger et de publier un manifeste.

Il propose, qu'on nomme une commission chargée de résumer le procès-verbal de la séance, et qui ajoutera, si elle le croit utile, une déclaration.

Cette proposition est adoptée.

Sont nommés à l'unanimité : Ch. Beslay, Henri Goullé, C. Rochat, Pindy, AvriaI, Rouveyrol, Jules Vallès, Léo Melliet, Antoine Arnaud.

La séance est levée.

 

Le secrétaire :

CASIMIR BOUIS.