Grands magasins et fièvre consumériste
Fondé en 1820, le premier grand magasin parisien révolutionne le système de vente traditionnel et ouvre la voie à un véritable engouement consumériste.
1820. Un lieu inédit ouvre ses portes à Paris : le Petit Saint-Thomas, le premier des grands magasins français. C'est une révolution : l'entrée est libre, les rayonnages sont remplis de produits vendus à des prix fixes et clairement affichés, et une politique d’échange et de retour est mise en place. Quant aux invendus, ils sont liquidés à prix cassés : les soldes sont nés.
Le Petit Saint-Thomas se veut plus qu'un magasin : un lieu où l'on aime à flâner et se montrer. Sous l'Empire et la Restauration, il existe au rez-de-chaussée un café fréquenté par "une superbe clientèle", raconte le journal Le XIXe Siècle :
"Il y avait comme habitués une belle collection d'originaux, le vicomte de Léaumont qui passait ses journées à boire du faro et à adresser des madrigaux en vers aux opulentes caissières du lieu ; le comte de Rochetort qui, mordu aussi par la muse de la poésie, se promenait dans le café en récitant des strophes enflammées qu'il scandait de coups de canne sur les verres et bouteilles, qu'on portait religieusement à son compte de la fin du mois. […]
Tout un clan de littérateurs et d'hommes politiques qui fuyaient le boulevard trop bruyant y déjeunaient presque régulièrement vers 1848 : Lamartine, Cavaignac, Greppo, Lamoricière, Bedeau, G. Planche, Ponsard, Jules Sandeau."
Très vite, d’autres entrepreneurs suivent le modèle du Petit Saint-Thomas et les grands magasins fleurissent dans la capitale : Le Bon Marché en 1852, Le Printemps en 1865, Le Bazar de l’Hôtel de Ville et La Samaritaine en 1904. Tous adoptent le système de vente avec rabais pour écouler leurs invendus. Consommer devient alors une distraction à la mode, un loisir à part entière.
En 1921, la chroniqueuse du journal Les Modes de la femme de France décrit son expérience et cet engouement consumériste qui s'épanouit dans l'entre-deux-guerres :
"Messieurs nos tyrans peuvent railler les « occasions » dont nous les entretenons avec tant de qualificatifs et d'adverbes, il n'y a guère d’imaginations féminines capables de résister à l'ambiance d'un grand magasin en pleine fièvre ; on commence par faire la moue parce qu'il y a foule, qu'il fait chaud ; et puis on est happée par une « proposition » où éclatent des prix invraisemblables et des couleurs étincelantes. On est dans l'engrenage, on ne s'appartient plus.
Cahotée d'un comptoir à l'autre, on reçoit des chocs, on les rend ; on tend les mains vers les chiffons que tournent et retournent d'autres mains de femme ; on tire une manche ; on la rejette ; on s'empare d'un coupon avec frénésie ; et dès qu'on a lu l'étiquette, on le quitte pour se précipiter sur un autre.
Il n'y a même plus de coquetterie ; on ne s'applique plus à paraître jolie comme tout à l'heure dans le métro ou le tramway ; on est dominée par l'instinct d'acheter pour soi, de posséder les choses et les couleurs répandues à profusion, ainsi qu'en un palais de féerie."