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1819 : débuts difficiles pour le « Barbier de Séville » de Rossini

le 27/11/2024 par Le Journal des Débats
le 26/11/2024 par Le Journal des Débats - modifié le 27/11/2024

Lorsqu’elle est présentée, la reprise du « Barbier de Séville » de Beaumarchais par Gioacchino Rossini est un four. Le correspondant français du Journal des débats se rit lui aussi de cette « commedia » qui passera pourtant à la postérité – et inventera un sous-genre, l’opéra-bouffe.

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THEÂTRE ROYAL ITALIEN

Première représentation de Il Barbieri di Seviglia, musique d’el signor Rossini

***

Le respect que nous avons pour les ouvrages des grands maîtres a livré à un ridicule ineffaçable ceux qui ont essayé de les refaire. Lorsque M. Dorai Cubières de Palméseaux voulut briser la Phèdre de Racine pour la jeter dans un nouveau moule de son invention, on se moqua de lui comme d'un fondeur de cloche ; et si le jugement public fut moins sévère à l'égard de l'auteur de la Mort d’Abel quand il conçut le projet de remettre sur l'enclume les Frères ennemis de Racine, c'est que l'ouvrage du premier de nos poètes dramatiques n'avoit en quelque sorte aucun rang sur notre théâtre, et que l'on concevoit l'idée de remanier, sans profanation sacrilège, l'essai d'un jeune homme qui ne devint grand que par la suite, et qui laissa un intervalle immense entre son début poétique et cette série de chefs-d'œuvre qui commença par Andromaque, et qui fut trop tôt terminée par Athalie.

La musique, je ne veux point en disconvenir, est un art dont les éléments et les principes, à en juger par les révolutions qu'elle a subies deux ou trois fois dans l'espace d'un siècle, sont beaucoup moins fixes que ceux de la poésie ; Gluck et Piccini ont mis le sceau à leur gloire, en recréant à leur manière des ouvrages dans lesquels Lully avoit enchanté les oreilles sensibles et délicates du grand siècle ; mais, soit que ces compositeurs célèbres, et tous ceux qui ont travaillé dans l’ordre de leurs idées et d’après la régénération du système musical, en reculant les limites de cet art enchanteur, les aient définitivement posées, soit que les compositeurs qui ont eu la témérité de substituer à leurs productions des productions nouvelles, soient demeurés, par l’insuffisance de leurs forces et l'infériorité de leur génie, trop au-dessous de leurs devanciers, le public a presque toujours donné gain de cause aux modèles, et condamné leurs successeurs ;

dans les genres même de musique qui, par leur simplicité, paroissent les plus faciles, la supériorité est restée aux premiers venus ; le Devin du Village, Annette et Lubin, ont conservé leur vieille musique, qui a triomphé insolemment de la nouvelle ; et l'Amant Jaloux, de Ferrari, malgré le mérite d’une composition qui n’avait d’autre malheur que celui de pouvoir être comparée, a reculé devant l’Amant Jaloux de Grétry. Grande leçon pour les imitateurs, si les exemples pouvoient jamais être utiles à des artistes qui aiment bien mieux prendre conseil de leur amour-propre que de leur expérience.

Les Italiens sont à cet égard de meilleure composition que les Français. Sans l’opinion bien ou mal fondée qui, confondant les époques, a proclamé leur presqu’île la terre classique de la musique, j’avoue que leur faculté à admettre avec la même admiration deux ou trois musiques différentes sur les mêmes paroles, me paroîtroit élever contre ce sentiment exquis qu’on leur attribut, un préjugé assez défavorable. J’ai bien peur qu’un enthousiasme si facile à s’éteindre, ne ressemble un peu trop à un engouement factice. Comment croirais-je à la sincérité d’une admiration qui s’évapore à la première composition qui vient remplacer la précédente ? Une coquette, qui auroit tous les six mois un amant nouveau, seroit-elle bien venue à vanter le mérite de celui qu’elle auroit délaissé ?

En-deçà des monts, nous sommes plus fidèles dans nos amours, et la constance de nos hommages fait, ce me semble, le plus bel éloge de ceux qui en font l’objet. Mal en arriveroit en France, à celui qui voudrait s’amuser à réduire l’Alceste de Gluck, ou l’Œdipe à Colonne de Sacchini.

Laissons les Italiens refaire pour leur plaisir les chefs-d’œuvre de Piccini, de Paësiello et de Cimarosa ; laissons-les entendre les paroles de Zeno et de Metastase, embellies de trois ou quatre musiques diverses ; et pardonnons au seigneur Rossini de s’être essayé dans son pays sur le même sujet que Paësiello ; il a donné du nouveau à ses compatriotes, ses compatriotes ont dû l’applaudir. Il est venu le dernier ; un autre viendra après lui, et sera le favori à son tour.

J’avoue cependant que des divers opéras de Paësiello, le Barbier de Séville étoit celui sur lequel un nouveau compositeur pouvoit s’exercer avec le moins de scrupule ; non que dans cette belle et ingénieuse composition, le célèbre musicien de Tarente soit resté au-dessous de lui-même. Tous les morceaux d’ensemble, tous les airs, sont dignes de son talent ; mais la quantité en est malheureusement peu considérable, et sur ce point du moins M. Rossini avoit un avantage relatif ; il offroit à son adversaire et son rival un moins grand nombre de points vulnérables.

M. Rossini a pris d’ailleurs ses précautions pour le diminuer autant que possible ; il a évité de se rencontrer avec Paësiello, et cette conduite est prudente, car toutes les fois que la rencontre a eu lieu, Paësiello est resté maître du champ de bataille. L’ouverture n’a rien de commun avec l’ancienne ; si, comme on l’assure, elle n’a pas été faite pour le Barbier de Séville, il était difficile de l’appliquer plus convenablement. Ce n’est plus Figaro qui ouvre la scène ; c’est le comte Almaviva accompagné de nombreux musiciens, qui donne une sérénade à sa maîtresse. La romance est supprimée ; c’est un accompagnement de guitare d’un effet très piquant qui la remplace. A l’admirable trio qui terminoit la scène du soldat, M. Rossini substitue un finale d’une harmonie forte et savante, qui rappelle quelquefois le finale des Nozze di Figaro, mais qui ne dédommagera jamais les connoisseurs du trio de Paësiello, l’un des morceaux les plus délicieux de la musique italienne.

En général, le premier acte a produit de l’effet ; on y trouve deux duos fort agréables, et qui auraient pu l’être davantage s’ils eussent été plus courts. La Cavatine de Figaro, parfaitement exécutée par Pellegrini, est d’une facture trop pénible et trop tourmentée ; et l’air de Bazile, la Calumnia è un venticello, ne peut soutenir la comparaison avec le même air de Paësiello.

Le second acte a été moins heureux que le premier ; l’entrée de don Alonzo, si charmante dans l'ancien barbier, est faible dans la nouvelle partition, et la leçon de musique est remplie par un air d'une mélodie commune, mais varié avec habileté. Je serais fort surpris s'il étoit de Rossini.

La musique de ce jeune compositeur n'est pas d'une exécution facile, et c'est sur cette difficulté qu'il est juste d'apprécier le talent des acteurs et des chanteurs à qui elle est confiée. Garcia a été fort bien accueilli par le public. Il est tout naturel qu'il porte bien le costume, et particulièrement le manteau de son pays ; mais il prend trop à la lettre le conseil de Figaro sur l'ivresse du peuple, et quoique l’ensemble de son jeu ait été satisfaisant, il est juste de dire qu'il n'a pas eu moins à souffrir du parallèle de Mandini, que M. Rossini de celui de Paësiello. Mandini est sans contredit le plus grand acteur que nous ait jamais envoyé l'Italie ; il réunissoit toutes les qualités du chanteur et du comédien, la noblesse et la grâce dans les manières, la beauté de la voix, et cette manière large de chanter qui sembloit alors commune à tous les chanteurs italiens, et dont Crivelli nous a fourni le dernier modèle.

Les chanteurs actuels chantent court, si je me puis servir d'une expression hasardée, mais qui me paroit propre à faire entendre ma pensée ; ce n'est plus ce beau développement de la période musicale, qui a tant de charme pour les connoisseurs, c'est un chant saccadé, plus ou moins rapproché du son des instruments à vent. Pellegrini lui-même n'est pas exempt de ce défaut, et je n'en veux pour preuve que la manière dont il chante la seconde partie du duo du Pretendente burlato. La faute en est peut-être aux compositeurs modernes, qui trop souvent cherchent l'expression dans l’accélération du mouvement et de la mesure. Pellegrino a joué Figaro avec intelligence, avec esprit ; son chant est bien approprié à la musique : je lui aurois désiré plus de légèreté.

L'état actuel de Mme de Begnis est en contradiction avec son rôle, et ne lui a pas permis de développer tous ses moyens ; mais, sous quelques mois, l'invraisemblance aura disparu, et on retrouvera en elle une charmante pupille du sévère et prévoyant Bartholo.

Ce Bartholo, Graziani qui est pourtant un bon comédien et qui quelquefois ne chante pas mal, s'est avisé d'en faire un niais d'Andalousie ; c'est prendre le rôle à contre-sens : je ne sais aussi pourquoi il se grime d'une manière sale et ridicule ; parce que c'est son jour de barbe, il trouve plaisant d'en porter une d'un pouce de long. Il n'a donc jamais vu Raffanelli.

De Begnis est bien placé dans le rôle de Bazile ; et si l'air de la calomnie n'est pas meilleur, ce n’est pas la faute de celui qui le chante.

Je n'ai pas la prétention d'avoir pu juger dans une seule soirée une partition aussi importante que celle de M. Rossini. Je rends compte de la première impression. On annonce incessamment le Barbier de Paësiello ; je suppose que le goût présidera à cette reprise, que le récitatif sera abrégé ; que, par suite, les airs seront rapprochés : si cette opération est faite avec intelligence, le triomphe de Paësiello sur son concurrent en deviendra, non pas plus assuré, mais plus éclatant ; heureusement M. Rossini, pour se consoler de sa défaite, pourra se dire à lui-même ce qu'Enée dit à Turnus :

AEneae magni dextra cadis !

« Tu as cédé la victoire au grand Enée ! »