Le moyen n'est pas maladroit, mais, il faut bien le dire, il n'est pas neuf. Le premier qui ait eu l'idée d'associer la musique instrumentale au langage parlé, pour en accentuer l'effet dramatique, c'est Jean-Jacques Rousseau. Il appliqua lui-même ses idées théoriques et en fit l'essai dans un monologue intitulé Pygmalion, qui fut représenté vers 1775, si ma mémoire est fidèle. C'était une sorte de pantomime parlée, – s'il est permis d'associer ces deux mots, – dans laquelle la musique instrumentale s'efforçait de traduire les gestes de l'acteur et les sentiments exprimés par le dialogue récité.
L'invention de Jean-Jacques eut meilleure fortune en Allemagne qu'en France. Elle fut reprise et pratiquée par des musiciens de talent, tels que Benda, et par un homme de génie, qui n'avait pas encore conquis ses titres à l'immortalité.
En passant à Mannheim pour se rendre à Paris, Mozart, car c'était lui, avait entendu les essais de Benda, et il en avait été vivement frappé. « Savez-vous mon opinion sur cette nouveauté ? écrivait-il à son père. On devrait traiter de cette manière la plupart des dialogues dans l'opéra et ne recourir au chant que lorsque la parole peut recevoir de la musique une expression plus intense et plus profonde. »
Toute la théorie de M. Massenet peut tenir dans ces deux lignes ; mais le difficile n'est pas d'échafauder des systèmes ; le grand point c'est de les faire passer, des idées théoriques, dans le domaine de la réalité. Mozart l'a tenté, sans grand succès, dans un petit opéra connu sous le nom de Zaïde. M. Massenet sera-t-il plus heureux avec sa Manon ? Il serait prématuré de le décider. Si l'on me pressait pourtant de donner mon opinion, je dirais que ce mélange de musique mélodramatique et vocale ne me paraît pas d'un effet toujours heureux. L'oreille et l'esprit sont également troublés par cette succession incessante de langages divers, et il me semble que le seul résultat auquel on arrive, c'est de substituer une convention nouvelle à une convention acceptée de vieille date. Le bénéfice ne me paraît pas appréciable.
Mais, encore une fois, l'heure n'est pas venue de juger l'expérience de M. Massenet ; il faut se borner, pour le moment, à le féliciter d'avoir osé la tenter, car elle atteste un souci sérieux de l'art et un désir louable d'en étendre les bornes.
Au surplus, je préfère me borner pour aujourd'hui à ces considérations générales et j'attendrai jusqu'à demain pour entrer au cœur de la partition.
L'étude d'une œuvre de cette Importance ne doit pas être écourtée par les exigences de l'information hâtive et l'indiscret empressement du public.