C'était à la Une ! L'insurrection des "Boxers"
La lecture du jour évoque la révolte des "Boxers" en Chine au travers d'un article de Jean Frollo paru dans Le Petit Parisien le 2 juin 1900.
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Cette semaine : "L"Insurrection des Boxers" par Jean Frollo, Le Petit Parisien, 2 juin 1900
Texte lu par : Nathalie Kanoui
Réalisation : Séverine Cassar
« L'INSURRECTION DES BOXERS
L'Europe commence à s'émouvoir de l'extension que prend l'insurrection des « Boxers » en Chine. Quand cette insurrection éclata, on ne voulut croire qu'à un mouvement local qui serait vite réprimé. Toujours est-il qu'on ne s'en occupa guère. Or, non seulement il prit rapidement des proportions alarmantes, mais encore rien ne fut tenté par le gouvernement de Pékin pour l'entraver. On apprenait de jour en jour la marche en avant des insurgés, qui incendiaient, pillaient et assassinaient sur leur route, forçant les résidents étrangers à fuir les localités où ils entraient en maîtres, faisant même des prisonniers parmi les Européens.
« Les Boxers, disait une dépêche de Tien-Tsin, marchent sur Pékin ».
Et il ne paraît que trop certain qu'ils y arriveraient, si cette armée de rebelles n'était point arrêtée par l'intervention de l'Europe. [...]
On a tout lieu de penser, en effet, que cette formidable révolte pourrait bien avoir été préparée, favorisée en tout cas, par l'Impératrice-mère et ses mandarins, qui veulent à tout prix, bien qu'ils affirment publiquement le contraire, empêcher les progrès de l'influence européenne. N'osant ouvertement refuser d'ouvrir la Chine aux étrangers, de permettre l'accès de ses ports, de laisser la voie libre à la civilisation occidentale, ils auraient suscité contre l'ennemi d'Europe la rébellion qui met en ce moment en feu tout le nord du grand Empire jaune.
Que sont les Boxers ? Les membres d'une de ces nombreuses sociétés secrètes qui couvrent le territoire chinois. Or, il faut se rappeler ce qui s'est passé au mois de janvier dernier. L'impératrice-mère, afin de mettre radicalement fin aux projets de réforme de l'Empereur, força celui-ci à signer son abdication et lui donna comme successeur le prince Pou-Tsing, âgé de neuf ans ; le nouveau monarque était le fils du prince Tuan. Eh bien ! Ce dernier, appartenant au parti hostile à l'influence européenne, passe précisément pour le chef de deux puissantes sociétés secrètes : la « Grande-Épée » et les « Boxers », dont les adeptes sont. répandus dans les provinces du Pé-tchi-li, de ChanToung et Il Ho-Nan.
On est donc en droit de supposer que c'est à l'instigation du prince Tuan, père de l'empereur de Chine, que les Boxers ont levé l'étendard de la révolte.
Le vrai nom de la société des Boxers est « l'Abat-Jour rouge » ; elle est divisée en deux sectes : « Tching-Tchung-Tohah » (secte de la Cloche d'or) et « Ta-tan-hui » (secte de la Grande eau) ses affiliés s'appellent entre eux « les Donneurs de coups de poing du patriotisme », et c'est pourquoi les Anglais les ont dénommés « Boxers » (boxeurs). [...]
Toutes les sociétés secrètes chinoises sont sans cesse prêtes à l'action insurrectionnelle. La plupart ont refondées sur ce principe que le peuple n'ayant aucun recours contre les fonctionnaires du gouvernement, il y a nécessité de s'associer en vue d'une rébellion toujours imminente à la suite des exactions de l'administration. Il paraît certain que la plus puissante de ces associations mystérieuses est celle de la « Grande-Triade », qui, alors que la société des Boxers n'est forte que dans le nord de la Chine, possède, elle, des ramifications sur toute la surface du territoire, et jusque dans les colonies européennes de l'Indo-Chine.
Une autre vaste association s'appelle « le Lotus Blanc ». Ses membres lui donnent le nom de « confrérie » (hioni), et elle compte ses adhérents par centaines de mille, jusqu'aux Indes, en Australie, en Amérique, partout où le Chinois émigre. Elle a des mots de passe, des règlements, avec une peine terrible pour celui qui les enfreint. A un moment donné, ses membres furent maîtres de l'ile de Formose. La société du Lotus Blanc, comme celle des Boxers, a des affiliés jusque dans le palais impérial. Beaucoup de ses membres combattirent dans les rangs des Taïpings. On a raconté que, pour être libres de se donner tout entiers à la guerre, ils tuaient. Comment l'insurrection des Boxers se terminera-t-elle ? Il est certain, a-t-on fait remarquer, qu'ils n'ont rencontré jusqu'ici, de la part des autorités chinoises, qu'une mollesse qu'on peut très bien prendre pour une complicité et qui a dû les encourager. Mais ce qui est non moins sûr, c'est qu'on ne parait point disposé en Europe à laisser plus longtemps le gouvernement de Pékin, inspiré par cette Impératrice-mère dont on n'est plus à compter les duplicités, favoriser une révolte qui menace la sécurité des étrangers, qui met leur vie en péril.
JEAN FROLLO »