Écho de presse

La difficile naissance de l'impôt sur le revenu

le 02/07/2023 par Marina Bellot
le 20/12/2022 par Marina Bellot - modifié le 02/07/2023

La mise en place d'un impôt sur le revenu ne voit le jour en France qu'en janvier 1916, bien après la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Ses défenseurs y voient un instrument de justice sociale tandis que ses détracteurs dénoncent « l'inquisition fiscale ». 

La mise en place d'un impôt effectif sur le revenu se fait tardivement en France. En Grande-Bretagne un impôt progressif sur les différents revenus de chaque contribuable a été adopté dès 1842 et en Allemagne un impôt progressif sur le revenu de chaque ménage existe depuis 1893.

En France, il faut attendre 1907 pour que Joseph Caillaux, alors ministre des Finances de Clemenceau, propose la mise en place d'un impôt visant à imposer les nouvelles formes de revenus (bénéfices, salaires, dividendes) qui représentent alors une part croissante de la richesse nationale. Sa proposition est intensément débattue, preuve que les conservatismes de la IIIe République étaient encore vigoureux en France en ce début de siècle.

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Adopté par la Chambre des députés le 9 mars 1909, le projet est bloqué par le Sénat conservateur jusqu'en 1914. L'impôt fait alors toujours polémique, les conservateurs dénonçant « l'inquisition fiscale ».

Le Journal écrit :

« Le principe d'un impôt unique avait séduit les masses, qui appliquaient au mot revenu le sens de l'impôt sur la rente, sur le capital ; elles s'aperçoivent aujourd'hui qu'il s'agit d'un impôt sur les ressources, sur les salaires mêmes, sur toutes les sources de revenus. »

L'Indépendant du Berry raille :

« Nos excellents députés, après avoir promis toutes sortes d'économies en 1910, ont augmenté la dette publique en quatre ans de un milliard 400 millions. Il est donc matériellement impossible, sans impôts nouveaux, d'équilibrer le budget. »

Avant de proposer une alternative : 

« Il y avait [...] un moyen bien simple d'équilibrer le budget, c'était d'imiter l'Allemagne qui a voté un impôt spécial, dit impôt de guerre et qui ne frappe que la richesse.

Avec l'impôt sur le luxe, sous toutes ses formes, sur la richesse et sur l'alcool, comme boisson, mais non comme consommation familiale, avec une taxe extraordinaire sur les étrangers résidant ou travaillant en France, on pouvait trouver les millions versés pour l'équilibre du budget.

Par voie d'extinction, on pouvait, tout en diminuant le nombre des fonctionnaires, payer plus cher les autres et exiger d'eux un travail plus considérable. »

Le projet Caillaux n'est finalement voté que le 3 juillet 1914 par la Haute Assemblée dans le cadre de l'effort de guerre. En janvier 1916, la loi entre finalement en vigueur.

Les journaux satiriques tels que Le Rire moquent ce qui semble ajouter à la complexité de la fiscalité. 

Pour venir en aide aux contribuables perdus, Le Journal des Finances explique le principe de ce nouvel impôt : 

« Cette nouvelle taxe n'est pas un impôt de remplacement, nous insistons sur ce point, beaucoup de contribuables s'imaginant que l'impôt sur le revenu impliquait la disparition de toutes les anciennes taxes. Le nouvel impôt s'ajoute aux autres contributions : c'est un impôt de superposition. 

Le contribuable payant auparavant 200 francs, par exemple, de taxes diverses continuera à les payer plus l'impôt sur son revenu annuel net au-dessus de 5.000 fr., les revenus totaux inférieurs à 5.000 francs n'étant pas atteints. »

Le journal communiste L'Humanité se réjouit de son côté de l'adoption de cet « instrument de justice et de prévoyance » et balaye l'argument des conservateurs qui dénoncent une taxe inquisitrice : 

« L'évaluation du revenu résulte d'une déclaration du contribuable. En cas de refus ou d'impossibilité de déclaration, le contribuable est taxé d'après les éléments "certains" dont dispose l'administration des contributions directes, tels que les feuilles d'impôts, les baux, les listes de dépôt dans les banques, et tous les renseignements qui peuvent être recueillis par les services publics en vertu des lois existantes. Mais, ni pour établir la taxe, ni pour rectifier les déclarations, le contrôleur n'a le droit d'exiger la production d'aucun acte, livre ou document quelconque.

La loi a pris toutes les précautions pour écarter jusqu'aux apparences de cette inquisition et de cette vexation fameuses dont la menace fut si fréquemment brandie contre l'impôt sur le revenu par tous les conservateurs, au temps où l'union sacrée n'existait pas encore. Mais c'était alors la paix, et il était permis de jouer avec les fantômes imaginaires. La réalité de la guerre nous presse aujourd'hui, contre elle l'union sacrée existe, et c'est l'impôt sur le revenu lui-même que nous chargerons de la maintenir. »