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La mobilisation générale en août 1914

le par - modifié le 31/07/2023
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L’assassinat de l’héritier de l’Empire austro-hongrois à Sarajevo le 28 juin avait ouvert une crise internationale qui devait, par le jeu des alliances, embraser toute l'Europe. L’ordre de la mobilisation générale, décrétée dans l’après-midi du 1er août 1914 en France, précède la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914. La presse, qui verse rapidement dans le nationalisme, a un rôle central dans l'acceptation de la guerre par la population française.

Une guerre probable et pourtant inattendue

Alors que les tensions et les menaces de guerre s’intensifient dans les Balkans après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg à Sarajevo (28 juin 1914), l’opinion publique et la presse française semblent très loin de l’idée d’une guerre imminente. La presse est accaparée depuis le 20 juillet par le procès de Mme Caillaux, épouse de Joseph Caillaux, leader radical, qui a assassiné Gaston Calmette, le directeur du Figaro (La Presse, 28 juillet 1914). Au même moment, l’ultimatum lancé par l’Autriche-Hongrie à la Serbie le 23 juillet et sa déclaration de guerre le 28 juillet mettent en mouvement un engrenage vers la guerre par le jeu des alliances entre la Triple Alliance et la Triple Entente (Le Journal, 31 juillet 1914). La Russie se porte au secours de la Serbie, slave et orthodoxe, et appelle à la mobilisation générale le 30 juillet. L’Allemagne, voyant dans la Russie sa principale menace, mobilise ses troupes le 1er août pour ne pas affaiblir son allié austro-hongrois. 

L’opinion publique prend alors conscience de l’imminence de la guerre le 1er août 1914 (Le Petit Journal, Le Figaro, Le Gaulois). La presse française est convaincue que l’Allemagne est responsable de la guerre en laissant faire son allié austro-hongrois et en proclamant l’état de guerre (La Presse, Le Rappel, 1er août 1914, Le Figaro, 2 août 1914). Face à la crise qui s’annonce, Le Temps appelle les Français à l’union nationale (1er août 1914). Le Matin ne se fait plus guère d’illusion quant à une résolution pacifique des tensions. Les unes des grands quotidiens traduisent un fatalisme ambiant et le sentiment que la guerre est inéluctable (Le Petit Parisien, L’Homme libre) ; La Lanterne annonce même une « crise européenne ». 

Le leader des socialistes, Jean Jaurès, pourtant continue à appeler à tout faire pour lutter contre la guerre (L’Humanité, 31 juillet 1914). Mais l’émotion suscitée par son assassinat le 31 juillet passe au second plan derrière l’annonce de la mobilisation générale, excepté pour L’Humanité (1er août 1914) ; même l’antimilitariste notoire Gustave Hervé appelait dans La Guerre Sociale à la  « Défense nationale d’abord ! Ils ont assassiné Jaurès ! Nous n’assassinerons pas la France ! » (Journal des Débats, 2 août 1914).

Affiche « Ordre de Mobilisation générale. Par décret du Président de la République » - Source : Gallica BnF

L’appel à la mobilisation générale

Malgré le mythe des soldats partis « la fleur au fusil », l’annonce de la mobilisation ne déclenche pas un enthousiasme généralisé (Gil Blas, 1er août 1914). Les manifestations collectives de ferveur patriotique sont très minoritaires et essentiellement urbaines, lors du passage des régiments et à proximité des gares (Le Petit Journal, 2 août 1914). Les manifestations qui ont lieu fin juillet sont davantage marquées par la consternation que des expressions d’un nationalisme exacerbé (Le Temps, 1er août 1914). En réalité, l’ordre de la mobilisation, lancé à 16h le 1er août, suscite la stupéfaction de l’opinion publique et encore plus dans les campagnes, moins bien informées de la gravité de la situation que dans les villes. Le premier jour de mobilisation plus de 884 000 hommes sont sous les drapeaux. Le Matin s’arrête sur l’attitude des femmes au moment du départ et de la séparation :

« à la gare, les femmes sanglotent. Elles ont bien le droit, 5 minutes avant le départ du train. […] Les paupières sont à peine rougies ».

Mobilisation, le premier départ, gare de l'Est ; Agence Rol (Paris) ; 1914 - Source BnF

Les mobilisés partent au front avec résolution et détermination. Le nombre d’insoumis est infime : c’est la conviction de l’agression allemande et de la défense de la patrie qui favorise son acceptation par l’opinion publique et non l’idée de Revanche et de reconquête de l’Alsace-Moselle comme on aurait pu le croire. Le discours revanchard contre l’Allemagne est un mythe, certes entretenu par une presse nationaliste et antigermaniste, notamment Le Petit Journal, après les crises marocaines de Tanger (1905) et d’Agadir (1911). Dans L’Echo de Paris, journal nationaliste, le catholique Albert de Mun écrivait ainsi : « La Revanche ! Mot vibrant, si longtemps refoulé de nos âmes et qu’il nous était défendu de crier tout haut » (9 août 1914).

L’Allemagne met immédiatement en action le plan Schlieffen : l’État-major allemand veut absolument vaincre la France avant que la Russie, qu’il considère comme son véritable ennemi, ait achevé sa mobilisation. Il décide d’éviter la Lorraine et de prendre à revers l’armée française en envahissant la Belgique et le Luxembourg et déclare la guerre à la France (Le Matin, 2 août 1914). Cette stratégie force les Britanniques à déclarer la guerre à l’Allemagne le 4 août. 

La France et sa presse entrent en guerre

Le 4 août 1914, le président du Conseil René Viviani lit à la tribune une déclaration du président de la République, Raymond Poincaré, qui appelle à l’Union sacrée. « Dans la guerre qui s’engage, la France […] sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’Union sacrée et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l’agresseur et dans une même foi patriotique », largement relayée par la presse (La Presse, Le Gaulois, 5 août 1914).

Une fois la guerre engagée, les socialistes et les syndicalistes rejoignent l’Union sacrée alors qu’ils s’étaient opposés à la loi des trois ans et menaçaient d’appeler à l’insurrection en cas de déclenchement de la guerre. Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, dans le discours qu’il tient lors des obsèques de Jaurès, se prononce sans ambigüité pour la défense nationale (Le Journal, 5 août 1914). Puis Jules Guesde et Marcel Sembat, deux leaders socialistes entrent dans le gouvernement d’Union sacrée formé le 26 août 1914. La participation de l’extrême-droite à l’Union sacrée ne réhabilite pas pourtant la République aux yeux de Barrès qui continue à l'abhorrer (L'Echo de Paris, 20 août 1914) : l’Union sacrée est donc une cohabitation d’idéologies au service de la Défense nationale, mais pas leur fusion. 

La presse joue un rôle important dans l’acceptation et la légitimation de la guerre auprès de l’opinion publique, versant dans la propagande nationaliste et diabolisant l’ennemi (Le Petit Journal, 5 août 1914). Le Matin parle d’une « guerre sainte de la civilisation contre la barbarie » (4 août 1914).

Les grands quotidiens comme L’Echo de ParisLe Matin et Le Miroir, versent immédiatement dans la propagande nationaliste. Ils s’enthousiasment de l'entrée en guerre de l'Angleterre (L'Ouest-Eclair, 5 août 1914), de la résistance belge face à l’invasion allemande (Le Petit Parisien, 5 août 1914, Le Matin, 13 août 1914), des premières offensives françaises en Alsace et en Lorraine (L’Humanité, 8 août 1914, L'Echo de Paris, 10 août 1914) et s'indignent des atrocités allemandes contre les populations civiles en Belgique et en France (Le Matin, 18 août 1914). 

Ainsi, la presse occulte le caractère très meurtrier du début de guerre (plus de 40 000 combattants français meurent au combat entre le 2 et le 23 août, dont près de 27 000 pour le seul 22, le jour le plus sanglant de l’histoire de France) et des difficultés militaires françaises. Cela peut s'expliquer par la loi du 5 août 1914 qui impose un contrôle de l’information et la censure. À la fin du mois, l’opinion publique est totalement stupéfaite en apprenant l'offensive allemande dans le territoire français et sa percée à une cinquantaine de kilomètres de Paris. Elle est enrayée par Joffre lors de la bataille de la Marne en septembre 1914 (L'Echo de Paris, 14 septembre 1914). 

La mobilisation générale du 2 août 1914 en France et le départ des soldats pour le front

Au lendemain de la déclaration de guerre, des ordres de mobilisation sont placardés sur tous les murs. Des troupes en partance pour le front défilent dans Paris et sont acclamées par la population. Les trains sont chargés en hommes et matériels.

Bibliographie

 

Jean-Jacques Becker, 1914, comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.


Jean-Jacques Becker, L'année 14, Paris, Armand Colin, 2005.


Bruno Cabanes, Août 14. La France entre en guerre, Paris, Editions Gallimard, 2014.


Gerd Krumeich, Le feu aux poudres. Qui a déclenché la Guerre en 1914 ?, Paris, Belin, 2014.


Jean-Yves Le Naour, 1914 : La grande illusion, Paris, Perrin, 2012