Écho de presse

1926 : Le début de la dictature militaire au Portugal

le 16/09/2020 par Mathilde Helleu
le 12/09/2020 par Mathilde Helleu - modifié le 16/09/2020
Salazar dans son jardin pour Paris-Soir, 1935 - source : BnF-RetroNews
Mai 1926. Un coup d’État met fin à la Première République portugaise. C’est le début d’une dictature qui ne s’effondrera que 44 ans plus tard.

Le 28 mai 1926, un coup d’État a lieu au Portugal. C’est le vingt-et-unième mouvement de rébellion qui agite le pays depuis la proclamation de la République seize ans plus tôt.

Dans la presse française, les informations sont dans un premier temps assez sommaires, conséquence sans doute de la censure rigoureuse exercée par le pouvoir portugais.

Deux jours après le début des événements, le 30 mai, Le Temps rapporte :

« Les nouvelles arrivées de Lisbonne sont peu nombreuses [...].

On sait cependant que la huitième division d’infanterie de Braga a donné le signal de la révolte. »

Si l’on en parle peu, c’est sans doute aussi car les effusions de sang sont peu nombreuses. Le 1er juin, La Lanterne annonce que « Lisbonne a été prise sans coup férir » et que « la nouvelle du succès du mouvement révolutionnaire a été reçue avec enthousiasme dans tout le pays ».

« Tout s’est borné à une démonstration en force, appuyée, semble-t-il, par un large mouvement de l’opinion publique », affirme-t-on dans Le Temps.

Les journalistes s’interrogent cependant sur la nature exacte de ce mouvement d’opposition. Est-ce une dictature militaire pure et simple qui s’annonce ?

Les putschistes assurent à qui veut l’entendre que « le mouvement est républicain et qu’il n’a aucun caractère militaire » (Le Temps). Il ne s’agirait que de « débarrasser le pays des politiciens qui sont en train de ruiner le Portugal » (La Lanterne).

Un « grand journaliste portugais » assure enfin dans Le Siècle du 3 juin que la révolution est organisée par des « personnalités civiles » qui ne sont « les prisonniers d’aucun régime politique, [...] les prêtres d’aucune chapelle », mais simplement des « réalistes ».

Le journaliste émet cependant des réserves : « En fait de personnalités civiles, ce commandant Cabeçadas et ce général Gomes da Costa sont des civils bien curieux. »

Bientôt, le président Machado est contraint de démissionner, la loi martiale est proclamée et le commandant Cabeçadas annonce la formation d’un gouvernement qui sera « militaire sans être toutefois militariste », ainsi que la dissolution du Parlement, dont l’action n’a « été que préjudiciable aux intérêts du pays ».

Pour Le Temps, qui s’interroge, il s’agit d’un « saut dans l’inconnu ».

Malgré une certaine circonspection, ces nouvelles sont accueillies avec calme. L’Humanité s’amuse même de cet enchaînement de coups d’État, qu’elle qualifie de « révolutions d’opérette ».

Cette étrange sérénité persiste à l’entrée en scène de celui qui sera bientôt le dictateur incontesté du Portugal : Antonio de Oliveira Salazar.

Nommé ministre des Finances en 1928, ce professeur d’économie et fervent catholique semble inspirer une confiance et une admiration quasi unanimes. On salue de toute part le redressement financier spectaculaire auquel il procède.

L’Écho de Paris le décrit ainsi :

« Il a restauré les finances en emprisonnant les banquiers lorsque cela était nécessaire, en combattant impitoyablement quiconque contrariait sa mission. [...]

C’est cet homme, Salazar, vivant pour les chiffres et pour Dieu, qui maintient l’ordre des finances et de la rue et le rétablit sans pitié lorsqu’il cède. »

À La Croix, sans doute ému par la ferveur religieuse du nouveau dictateur, on est pétri d’admiration :

« Soulignons que M. Salazar, qui est un catholique, a, en tant que ministre des Finances, établi un plan de budget qui fera que, seule Nation au monde dans ce cas, le Portugal bénéficiera d’un important excédent de recettes. »

À l’époque déjà, l’orthodoxie budgétaire semble peser, pour certains, plus lourd que l’exigence démocratique.

Le 25 juin 1932, bénéficiant d’un bilan ultra-positif aux Finances, Salazar « se décide » à prendre la présidence du Conseil, « non par ambition, certes, mais par sentiment du devoir », estime l’hebdomadaire Je suis partout, organe d’extrême droite de sinistre mémoire.

L’année suivante, après un plébiscite tenu le 19 mars, une nouvelle constitution confère les pleins pouvoirs au nouveau dictateur.

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La Croix rapporte à cette occasion des chiffres pour le moins étonnants :

« Sur un total de 1 330 258 électeurs inscrits dans tout le territoire de la République portugaise, ont voté pour : 1 292 864. Ont voté contre : 6 190. Enfin, 666 bulletins ont été annulés. »

Et le journal de conclure avec enthousiasme :

« C’est certainement là la meilleure constitution qu’aura connue le Portugal depuis l’avènement de la République. Sa conception fait le plus grand honneur au général Carmona et à M. Salazar, président de la République et chef du gouvernement, qui font de plus en plus figure de grands hommes d’État. »

Le Journal souligne quant à lui une « intéressante évolution de la dictature portugaise », dont le texte fondateur « s’inspire directement de la constitution des États-Unis ». « Ce n’est plus la dictature proprement dite, c’est l’État fort, librement accepté par tous ».

Dans Le Petit Parisien, on va jusqu’à qualifier Salazar de « sage, dont la modestie est, avec le goût du travail, la première vertu ».

Sans grande surprise, enfin, les royalistes de L’Action française sont extrêmement enthousiastes :

« Il faut applaudir à l’avènement de cet ordre nouveau chez nous, ordre qui doit gagner l’Europe, de capitale en capitale : c’est le véritable antidote de la démocratie parlementaire ruineuse ; c’est surtout le salut de la civilisation latine.

Œuvre splendide que couronnera le retour du Roi capétien en France. »

C’est le début de l’Estado Novo (État nouveau), une dictature que ses cinq piliers – Dieu, la famille, le travail, la patrie, l’autorité – rapprochent notamment du fascisme mussolinien.

Soutenu par le parti unique, l’Union nationale, le dictateur se maintiendra à la tête de l’État jusqu’à sa mort en 1970.

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