Extrait du journal

Nous primes les chemins de traverse et arrivâmes à feutrée de celle gorge qui conduit de Lorraine en Alsace par des sentiers tortueux, difliciles, que connaissent seuls les contrebandiers et les chasseurs. Je ne revois jamais sans une vive émotion ce site sauvage, ces rochers taillés à pic, ce ravin aux profondeurs mystérieuses, ces hauts escarpements sur lesquels apparaît de temps en temps la sombre verdure des sapins; j’y retrouve toujours le sou venir du drame qui s’y accomplit il y a vingt ans. Tu le rappelles, Jean, c’était l’époque de la Terreur. Le pays préoccupé de la guerre dont l'écho rapproché lui arrivait chaque jour de l’autre côté des montagnes, avait échappé aux orages politiques, lorsqu’un agent des clubs de Paris vint souiller le teu des passions locales et des haines de partis; les rancunes et les jalousies se donnèrent alors carrière, les divisions et les persécutions éclatèrent avec fureur. Mes oreilles croient entendre encore les cris de menace et de fureur qui assaillirent ceux que nous aimions. Ils étaient là quelques-uns, nobles et roturiers, qui ne demandaient que le droit de servir leur patrie dans la mesure de leurs forces. La calomuie habilement lancée grossit et les enserra tellement qu’ils se décidèrent à passer en Alsace pour se dérober à la persécution. Ils se réunirent donc à l’entrée du passage ; c’était une soirée orageuse, le veut s'engouffrait dans les gorges et les grondements du tonnerre se répercutaient de rochers en rochers ; sous ccs funèbres auspices ils allaient s’enga ger dans le sentier des montagnes; mais ils avaient été prévenus ; leurs ennemis les attendaient et des hauteurs firent pleuvoir sur eux une grêle de balles ; presque tous...