Extrait du journal

La misère des Intellectuels M. Bergson a proclamé à Genève que les intellectuels sont dans le marasme, qu'ils meurent de faim dans certains pays et qu'ils ne sont à leur aise dans aucun. 11 a eu la charité d'appeler sur leur triste sort l'attention dè la Sociefé dés nations, et de lui demander, en attendant mieux, de faire une enquête sur cette crise qui menace de tarir, ou tout au moins de raréfier, le recrutement des travailleurs dé la pensée. Qu'il en soit remercié. Malheureusement, sans vouloir décou rager personne, il semble bien qu'il ne s'agisse pas ici d'une crise passagère, due uniquement au déséquilibre social causé par la guerre. La tendance à la hausse des salaires pour les métiers manuels et à la baisse pour les émoluments des car rières intellectuelles est un phénomène gé nérai. La bonne à tout faire gagne aujour d'hui en un mois ce qu'elle gagnait en un an sous la Restauration, et la fille de ferme, qui se louait pour deux écus par an, plus deux paires de sabots et une « cotte probablement « mal taillée », reçoit main-* tenant beaucoup plus qu'une institutrice à demeure dans une famille bourgeoise. C'est injuste, dira-t-on, ce n'est pas en rapport avec la longue préparation que nécessite une carrière libérale. Sans doute, mais la loi de l'offre et dé la demande est implacable. Au temps où les bacheliers étaient rares, ils avaient de la valeur, entendons ici : de la valeur marchande. Un « écrivain public » gagnait plus dans son échoppe à exprimer la flamme des cuisinières du quartier que tel publiciste d'aujourd'hui à faire la leçon aux grands de ce monde. On peut le déplorer, surtout si l'on est intéressé dans la question, mais les cuisinières d'à présent rédigent elles mêmes leurs lettres d'amour. L' « homme de lettres » n'a même plus cette corde à son arc. C'est triste, mais c'est ce que nous appelons tous le progrès. La litté rature ne répond plus à un besoin, c'est un luxe, et il faut bien avouer que c'est la forme de luxe sur laquelle le çonsojn-...