Extrait du journal

BANDITS Ils sont une douzaine qui vont de réunion en réunion, chantant la Carmagnole, poussant des cris d’animaux, décidés à empêcher toute voix honnête de se faire entendre, prêts à renverser les tables, à casser les glaces, à faire, et sans profit, dans les salles où le peuple est convoqué pour discuter librement les questions qui l’in téressent, ce que font dans la banlieue parisienne les dévaliseurs de villas. Ne vouloir rien écouter, fermer d’avance l’oreille à tout argument qui pourrait gêner leur ignorance tranquille ; méchants et bêtes, vouloir ne pas changer et s’obs tiner résolument dans leur méchanceté et leur bêtise, c’est leur droit peut-être, mais de quel droit ont-ils décidé que les autres feraient comme eux, qu’ils les formeraient à leur vilaine image? De quel droit, aux cris, au tumulte, aux sifflets, au chant de chansons ignobles,ajoutent-ils,les réu nions finies, le bris du mobilier? Les dégâts ne comptent guère, mais ces procédés sont des procédés de bandits, non de penseurs libres. Et il importe que ce soit dit. * ♦ * Hier, au gymnase Cesari, de braves gens — nous n’en étions pas — avaient organisé une réunion où on allait discuter une question bien parisienne : la réinté gration des Sœurs dans les hôpitaux. M. l’abbé Garnier devait y prendre la parole mais, au retour d’une fatigante tournée à Saint-Etienne, il s’est trouvé dans l’impos sibilité physique de venir. On sait bien que cet apôtre n’a pas peur, qu’il s’est montré dans toutes les réunions où sa présence pouvait être utile... mais il fallait aujourd’hui exploiter son absence forcée. Quelques imbéciles qui redoutaient son éloquente parole commencent à crier : « Gar nier ! Garnier I » On leur répond : « Si vous étiez venus pour entendre M. l’abbé Gar nier, il vous reste à sortir. On vous rendra vos trois sous à la porte. » Mais ils ne veulent rien entendre. Et le tapage va croissant. * * * Debout sur une chaise, elle-même juchée sur l’estrade, celui qui avait accepté au dernier moment de remplacer le conférencier, offre aux assistants une réunion contradictoire. Dans cette salle louée par des catholi ques et où ces catholiques sont chez eux, il offre que le bureau soit donné aux adver saires, que les adversaires parlent les pre miers. Et voilà à la tribune, le j eu ne Zevaès ; Breton l’accompagne. Un autre gamin lui sert de second acolyte. Mais Zevaès a beau se dresser sur la pointe des pieds, il a beau frapper de sa canne le bois de là table, pendant que Breton secoue sa lôngue chevelure, personne ne veut les écouter. Ils savent bien, les autres, que Zevaès est hors d’état de présider, que Breton n’a jamais su dire deux mots de suite en public et que la meilleure défense des Sœur3, la faiblesse des infirmières laïques, faiblesse ajoutée à tant d’autres, est de n’avoir que ces ennemis et ces défenseurs I Ils savent que la réponse arrivera victorieuse, qu’il y a là des jeunes gens à l’âme ar dente, au cœur chaud, dont la parole fera acclamer tout à l’heure les admirables Filles de la Charité! Et, à défaut d’élo quence, à défaut d’arguments, de bon sens, de vérité, ils ont des voix d’ivrognes, des cannes, des sifflets. Et c’est avec ces armes qu’ils vaincront ! * * * Ne leur disputons pas la victoire. Nous en avons, nous, une plus importante. Il est démontré que provoqués au Moulin de la Vierge à organiser une réunion privée où un des nôtres viendrait seul, dans une...