Extrait du journal
ÉPILOGUE Les journaux continuent à disserter sur l’exécution de Vaillant. On y dépense à la fois beaucoup d’encre et beaucoup de sensiblerie. La dépense, outre qu’elle est tardive, est parfaitement déplacée, attendu que ces doléances font plus pour la propagation de l’idée anarchiste que l’attentat et la mort de Vaillant. Quel singulier travers nous avons dans la presse de considérer toutes choses par le côté sentimental ! Certes, la poli tique n’exclut pas la générosité, au con traire, mais de la générosité au senti mentalisme il y a loin, et c'est de senti mentalisme que sont faits la plupart des articles où l’on regrette l’expiation de Vaillant. On s’attendrit sur son enfance abandonnée et vagabonde, et l’on y trouve une circonstance atténuante. Cet attendrissement est bon pour les grisettes qui s’émeuvent à la lecture des romansfeuilletons et dans lesquels le héros malheureux possède toutes les qualités et toutes les vertus, mais est-il bien de mise à propos de Vaillant, qui, malgré son attitude devant l’échafaud, fut durant sa vie un assez piètre sire ? M’est avis que* nous ferions mieux de garder notre pitié pour les gens plus intéres sants. Si les honnêtes gens ont le mépris de leur peau, ce n’est pas pour tenir à la vie de personnages comme Vaillant. Et d’ailleurs si des considérations de cette. nature devaient tenir nne trop large place dans la répression des crimes, la société n’aurait qu’à désavouer au plus tôt la plupart des criminels n’ayant pas eu le bonheur de naître dans la famille Rothschild ou d'être bercés sur les ge noux des duchesses. N’attachons donc pas à cet argument plus d’importance qu’il n’en a. La misère et les souffrances ont droit à la pitié ; elles ont même d’autres droits, elles n’ont pas le droit au crime, C’est donc à un autre point de vue qu’il est permis d’épiloguer sur l’exé-r cution de Vaillant. C’est au point de vue de l’opportunité politique. Si l’on avait dès le premier jour traité l’attentat du Palais-Bourbon comme il méritait de l’être, c’est-à-dire comme un attentat de droit commun, nous n en serions pas aujourd’hui à discuter sur ce chapitre. La faute, c’est d’avoir laissé à cet atten tat la couleur d’un crime politique. La politique, me dira-t-on, fut le mo bile du crime. En est-on bien sûr ? La politique, que Vaillant s en soit rendu compte ou non, ne fut, ce me semble, que le prétexte, et eût-elle été même la raison d’être, qu’il fallait traiter cet attentat comme un attentat ordinaire. La politique s’arrête où commence le meurtre. On a voté des lois comme l’in dispensable conséquence de 1 attentat de la veille, ét le vote même de ces lois d’exception classe l’attentat de Vaillant au rang des crimes politiques. 11 y a tant et si bien, que la peine prononcée par le jury a été la peine de mort prononcée contre un criminel politique. Je n’affirmerais pourtant pas que telles aient été les intentions des jurés. Beau coup ont pu voir dans l’attentat un simple crime de droit commun, et c est à un crime de droit commun que peutêtre s’appliquait leur verdict. Mais le gouvernement, qui, lui, s était placé à un autre point de vue, et qui avait voulu traiter Vaillant en criminel politique, ne devait-il pas, dans l’exercice du droit de grâce, tenir compte des néçessités de la politique. C’est là toute la question. Vaillant, s’il avait été dès le premier jour considéré comme un criminel de droit commun, n’aurait pas tant préoccupé l’opinion publique et la presse. Du moment qu’on lui avait fait 1 honneur de le traiter comme un criminel politique, la question de la grâce devenait une question essentielle....
À propos
Fondée en 1893, La Dépêche du Berry était un journal régional suivant une ligne éditoriale de centre-gauche, ou « radicale ». Il paraît jusqu'en 1944.
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