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La Gazette, 1 juillet 1890

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La Gazette
1 juillet 1890


Extrait du journal

Sans compter les contresens dont ce8 représentations sont pleines. Avez vous entendu Mme Sarah Bernhardt lancer son « Dieu le veut I » ce fameux « Dieu le veut ! » qui a fait pleurer de tendresse les critiques parisiens et qui vient à Londres d’enlever la salle entière? La voix et le geste effrénés de l’artiste ont pu produire sur vos entrailles quelque commotion physique, mais, en vous re prenant, n’avez-vous pas senti toute la fausseté et du geste et du cri ? Est-ce Jeanne, la patiente, la douce, la toujours calme inspirée,qui se démène et qui hurle ainsi ? Et ces contorsions de la voix et de tout le corps conviennent-elles à la haute raison, à la ferme volonté ? Quand la volonté s'emporte en tels cris, son énergie ne dure guère. Feu de paille, disaient nos anciens. Ni Mme Sarah Bernhardt ni la plupart de nos contemporains ne comprennent plus l’enthousiasme autrement que s’il s exprime à l’extérieur par des clameurs et des mouvements furieux. C’est qu’ils ne savent plus ce que c’est que l’enthou siasme, ils le confondent avec la névrose et 1 exaltation ne leur paraît être qu’une forme de l’hystérie. ! aut-il donc leur dire que le dieu qui fait 1 enthousiasme est un dieu intérieur qui trahit sa présence à peine par la flamme plus intense du regard, par l’ar ticulation plus nette de la voix? Faut-il leur dire qu’il assure les gestes plus qu’il ne les exagère, qu’il se reconnaît sur tout à la constance des efforts, à la tenue de la volonté ? Notre temps se pique de psychologie et il y fait de bien lourdes fautes. Rien ne le montre mieux que la satisfaction qu’ex citent partout, dans tous les milieux et dans tous les mondes, les manifesta tions de toute nature en l’honneur de Jeanne d’Arc. Nos confrères de toutes nuances se félicitent des succès de l’Hippodrome et la Croix, hier même, paraissait y ap plaudir. Volontiers la plupart disent que la vue de tels spectacles entretient et renforce le patriotisme. Et ainsi Mme Sarah Bernhaidt aurait été cet hiver notre professeur de vertus civiques et l’écuyère qui fait maintenant le per sonnage de Jeanne aurait hérité de ce sacerdoce. Je sais même de braves gens qui ne sont pas loin de croire, sur la foi de leurs journaux, qu’ils font acte de pa triotisme en cassant leurs cent sous au guichet de l’Hippodrome et qui rentrent chez eux couronnés par leur conscience parce qu’ils ont applaudi à tour de bras la prise des Tournelles et... le ballet des ribaudes. Eh! bien, nos confrères se trompent et ils égarent les braves gens. Le patrio tisme de l’imprésario qui monte la pièce ou la parade n’est que dans sa bourse, en hausse ou en baisse selon les recet tes ; le patriotisme des acteurs n’est que dans leur amour — bien naturel — de la gloriole, il suit constamment les ondula tions du succès ; le patriotisme du mon sieur qui applaudit n’est que dans son amusement. Qu’il cesse un instant d’êtra diverti et vous entendrez quels sifflets. Le patriotisme, le vrai, ce n’est pas dans la salle qu’il faut le chercher, ni sur la scène, ni dans le cabinet du directeur, c’est dans quelque chambrée de caserne où de braves enfants rêvent de vraies batailles, dans quelque petite chambre d’officier où, sous la lampe, un homme en uniforme veille en étudiant les cam pagnes de Frédéric ou de Napoléon. On dit que la tragédie purge l’âma des passions, en ce sens qu’après avoir éprouvé au théâtre des passions fictives, nous avons épuisé notre capacité pas sionnelle. Prenons garde qu’il n’en soit de même du patriotisme. C’est chose trop précieuse pour lui laisser courir le risque de s’évaporer en fumées vaines. Et si parfois de beaux drames peuvent servir à 1 exciter, il ne faut pas que l’accoutu mance puisse menacer de l’assoupir. Le patriotisme de théâtre est trop fa cile pour être sérieux. Il ne procure que des agréments. La conscience est char mée et la soirée d’ailleurs était ravis sante. On a été patriote et on s’est bien amusé. La vie serait trop commode s’il pouvait en être ainsi. On s’attache à la patrie comme à tout le reste, non par les plaisirs qu’elle donnemais par ceux qu’on lai sacrifie. Voilà ce qu’on ne doit pas oublier. Il ne faut pas, aux jours décisifs, que les bons bourgeois puissent dire quand on leur présentera le mousqueton ou le fusil : Excusez moi, j’ai les bras rompus, j’ai tant applaudi à l’Hippodrome 1 Pierre Lespinasse....

À propos

La Gazette est le tout premier journal français à paraître grâce au soutien du cardinal de Richelieu. Créée en 1631 par Théophraste Renaudot, qui s’était vu octroyer ce privilège du Roi Louis XIII, La Gazette était la seule publication habilitée à annoncer publiquement les nouvelles venant de l’étranger. Il s’agissait de l’organe quasi officiel du Conseil du Roi détenant le monopole de l’information diplomatique et parfois des affaires intérieures. D’abord hebdomadaire, il devient quotidien à compter de 1792.

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