Extrait du journal
I Le jour n’est ni férié, ni chômé. Ce pendant tout le village est dehors. Les jeunes gens, en habits du dimanche, des rubans ou des fleurs à la bouton nière, suivent leur fanfare. Les vieil lards, les enfants, les femmes, excités par la cadence du cuivre, précèdent ou suivent en groupes alertes. Puis, ils s’arrêtent et attendent. Alors un homme paraît, accueilli par des acclamations. Il suit le dra peau déployé jusqu’au bourg. En face de la maison commune, une jeune fille offre un bouquet à M. le député. M. le maire lui lit une harangue. La jeune fille est honteuse. Le maire est solennel. Le député est emphatique, vulgaire, grimaçant, ridicule. Ne riez pas pourtant î Le spectacle que vous avez sous les yeux mérite votre méditation et votre respect. Car l’homme pour qui ce peuple aban donne ses travaux, qu’il trouve digne de tous ses hommages, sans le con naître, n’est rien de moins qu’une idée. Comme le peuple, saluez la Force qui relève les fronts courbés, saluez l’Idée ! II Cinq mille ouvriers, en bourgeron, sont accourus pour entendre l’apôtre et le poète de la Révolution, qui fut ouvrier comme eux. Ils sont, au pied de la tribune, tantôt ondulants sous le souffle de sa parole, comme les épis sous la brise d’orage, tantôt immobi les, muets, les yeux ardents, fixes, comme en extase devant un paradis qui s’ouvre. Puissance magique des images créées par l’artiste, des cris du cœur qui s’échappent de sa poitrine, des flui des mystérieux qui jaillissent de sa volonté ! Que leur annonce donc cette voix tour à tour caressante et terrible, pour leur faire ainsi oublier les fati gues du jour? La grève et la faim pour leurs fem mes et leurs petits ; mais la grève et la faim pour la cause sacrée de la so lidarité humaine. La misère et ses an goisses ; mais la misère et ses angois ses pour l’émancipation de la pensée, pour la rédemption sociale. La lutte et la défaite; mais la lutte et la dé faite pour hâter le règne de la justice et de l’égalité, promis à la future gé nération des serfs de l’usine, pour avancer d’un pas vers le triomphe de l’Idée. III Le jeune orateur, aux épaules d’ath lète, à la tête haute, mais aux traits pâlis, défaits, a été porté jusqu’à sa porte sur un pavois fait des bras nus de ses auditeurs enthousiasmés. De son balcon, il salue une dernière fois la foule. Puis, seul, il s’affaisse sur le lit d’insomnie où, depuis de longs mois, il cherche inutilement la répara tion de ses forces épuisées. Dormir enfin, dormir toujours, il n’a plus d’autre ambition que cette infinie douceur, dans la fièvre et le délire de ses nuits sans fin ! Car il sent la griffe aiguë de la folie s’enfoncer dans son cerveau à demi broyé par une incessante vibration qu’il ne peut plus ralentir ; il le voit intérieurement se vider de pensées, comme le mélèze se vide de sa sève par les incisions rofondes de son tronc. Il tend les ras dans les ténèbres pour retenir les dernières lueurs de son intelligence qui lui semblent vaciller et fuir dans une croissante incohérence. A l’aurore, il se lève, épouvanté, hagard, pour s’arracher à l’étreinte de l’horrible hallucination, qu’il espère encore dissiper. Mais, cette fois, il s’échappe à lui-même, il s’efforce en vain de se ressaisir. 11 est bien vaincu, le soldat infatigable de l’Idée I IV C’est d’abord comme une grande lumière, qui l’envahit. Sa vie lui ap paraît manquée, stérile, déjà finie. Et, pour l’achever en artiste, en poète, en orateur, le voilà qui se la déclame, qui se la résume, avec une amère ironie I — Nouvel archange, il a mis Dieu, comme l’antique Dragon, sous sa lance et son talon, il a raillé Pâme, l’immor talité, la résignation, le devoir, ces duperies. Il a glorifié Punique beauté, l’unique jouissance de l’homme : la Jteauté, la jouissance de son corps de I...
À propos
Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».
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