Extrait du journal

La dernière fournée de décorations n’a point soulevé de bien ardentes protestations. La force d’indignation est émoussée dans les âmes, et la rentrée de Wilson lui-même a laissé le pays indifférent. Il y a quelques années, lorsque le marchand de déco rations osa reparaître à la Chambre, les députés se levèrent,'' sortirent et le laissèrent seul à son banc. 11 est possible, d’ailleurs, que ce jour-là les auteurs de cette belle pro testation fussent pressés de s’en aller atin d’aller toucher à la caisse du Panama... Aujourd’hui, la validation défini tive de Wilson ne sera accompagnée d’aucune manifestation. LaKlissolution de la Société s’opère dans les mêmes conditions que la dis solution progressive de l’individu. Cette Société se sent mourir, et l’es pèce de fureur hystérique qu’elle montre vis-à-vis de ceux qui veulent précipiter le dénouement ne fait qu’atttb'fcer la faiblesse constitutive dont elle est atteinte. On a donné le signe de l’honneur à des écrivains qui n’en étaient pas : à liarduin, qui n’a jamais écrit que le bulletin financier du Petit Journal ; à un homme d’affaires comme Régnault, qui n’a d’autre mérite que d’être pré sident du conseil d’administration du Petit Parisien. On a fait figurer men songèrement la mention services exceptionnels devant ces noms. — Qu’est-ce que vous voulez que cela nous fasse ? répondra la foule. Il y a trente ans, quand il y avait une Opposition, Picard serait monté à la tribune et il aurait demandé quels étaient les services exception nels des nouveaux chevaliers. Il aurai t en de l’esorit, de la verve, et il aurait amusé la France entière aux dépens du ministre. Nos émasculés de Droite sont inca pables d’un aussi simple courage. 11 y a là dedans d’anciens officiers qui ont vaillamment gagné leur ruban rouge, il ne s’en trouverait pas un pour dire au Juif Raynal : “ Pardon ! monsieur le ministre, je vous serai in finiment obligé de me dire ce qu’ont pu faire MM. liarduin et Régnault pour être nos collègues dans la Lé gion d’honneur. » Tous, tant que nous sommes, nous nous laissons gagner à la longue par la veulerie générale. Les plus in dépendants, ainsi que je le constatais à propos d’un article do Séverine, ont un clou dans leur soulier, un souve nir d’amitié, de simple camaraderie parfois, qui empêche de dire ce qu’on pense. Peu à peu, on finit par n’avoir plus de souliers et n’avoir que des clous ; cela gêne pour marcher... On cherche en vain autour de soi les en nemis précieux de la première heure qui, furieux, menaçant, hurlant, vous tenaient en haleine ; on s’aperçoit que l’on n’a plus que des amis et on se sent perdu... Il y avait un joli article à écrire sur la décoration de Carvallio. Tous les mélomanes de Paris se sont précipités sur moi pour m’empêcher de l’écrire. — Vous savez. Carvalho est un homme très distingué... Il a fait beau coup pour l’Art. lia fait jouerMireille, la Reine Topaze... — Je ne vous dis pas qu’il n’ait pas fait jouer la Reine Topaze, mais enfin... il a contribué... — Cette catastrophe... C’est bien ancien... Vous savez qu’il y a des choses exquises dans la Reine Topaze ? — Je ne ie nie pas,mais avouez que cet incendie... Les premiers juges... — J’ai entendu parler de cela... Mais la Magistrature... à notre époque.... Ce n’est pas à un homme comme vous qu’il faut apprendre... Il a joué Obéron aussi... Je vous assure que c’est une décoration bien méritée. Au fond, il m’est indifférent qu’on ait fait de Carvalho un chevalier de la Légion d’honneur... Ce qui m’étonne, c’est que cette facilité à tout excuser, à tout accepter, se concilie chez les dirigeants Içs plus sceptiques avçç une...