Extrait du journal
plier par 36 les chiffres d’une année fiscale pour avoir une idée approximative de l’ensemble social. Faisons cette opération, et nous verrons que la fortune totale de la France est, en 1902, de 172 milliards. Sur ce total de 172 milliards, la part de la grande foule misérable, la part de vingt millions d’êtres humains qui constituent le fond même de la nation, sa force pro ductive la plus essentielle, est de 8 mil liards 640 millions ! Et en face de ces vingt millions d’individus humains se dresse un petit groupe de 972 personnes, possé dant chacune plus de 5 millions et dispo sant ensemble d’un capital de 9 milliards. J’entends bien que j’ai pris les deux de grés extrêmes : d’un côté, les successions inférieures à 2,000 francs ; de l’autre, les successions supérieures à 5 millions. Or, c’est entre ces deux degrés extrêmes que se place la plus grande part de la fortune de la France. Le total des fortunes de moins de 2,000 francs et des fortunes de plus de 5 millions est de 18 milliards, c’està-dire un dixième environ de la fortune to tale de la France. Si donc on se bornait à opposer ces deux catégories extrêmes, ces deux pôles du monde social d’aujourd’hui, on n’aurait qu’une idée très incomplète, et par conséquent très fausse, de la structure économique de notre société. Je n’oublie pas qu’en 1902, il s’est ou vert 97,257 successions entre 2,000 et 10,000 francs, et 39,108 successions entre 10,000 et 50,000 francs. C’est là la zone des artisans, de la petite bourgeoisie in dustrielle et marchande, de la démocratie paysanne et des éléments les plus modes tes de la bourgeoisie moyenne. Or, le to tal des valeurs successorales de cette zone est de 1 milliard 457 millions. Et c’est un chiffre très supérieur à celui des succes sions qui dépassent 5 millions. Même si on joint aux successions de plus de 5 mil lions les successions de 1 à 5 millions, on obtient, pour les successions très hautes, 764 millions ; et ce total est dépassé de plus du double par les totaux que fournis sent la petite bourgeoisie et la démocratie paysanne. Or, dans cette zone de petite bourgeoisie et de démocratie paysanne, la fortune, quoique très morcelée, a une va leur économique et sociale : elle est sou vent un outil de travail ou indépendant, ou à demi indépendant. Si on fait le compte, en multipliant par 36 le montant des suc cessions déclarées en 1902, on trouve que la fortune de cette zone est de 51 milliards 452 millions, presque un tiers de la for tune totale de la France. Et il y a environ 8 millions d’individus humains compris dans cette zone. Le total des fortunes su périeures à 1 million est de 27 milliards §04 millions, c’est-à-dire inférieur de près de moitié aux fortunes de la zone petite bourgeoisie artisane et paysanne. C’est là un fait considérable, et qu’on ne saurait négliger, dans la théorie comme dans l’ac tion, sans commettre les erreurs et les fau tes les plus graves. Mais il reste vrai que dans le système capitaliste, dont la puissance de diffusion est si magnifiquement célébrée par les éco nomistes, vingt millions de citoyens sont si dénués, que le total de ce qu’ils possè dent est dépassé par la fortune d'un mil lier de riches. Et encore nous ne parlons ici que des pauvres à propos desquels il y a déclara tion de succession ; nous négligeons cette triste foule d’indigents qui est au dessous des prises du fisc. Le fait évident, criant, décisif, c’est que le prolétariat, après cent ans de démocratie bourgeoise et capitaliste, n’est pas arrivé à la propriété ; c’est que {iresque toute la grande classe des travail eurs manuels ne possède qu’un lambeau misérable de la fortune publique. Et même si on ajoute à ces vingt mil lions de prolétaires les huit millions de petits bourgeois, d’artisans et de paysans propriétaires, ce que détient tout ce vaste ensemble est bien loin de faire équilibre à ce que possèdent les éléments les plus fa vorisés de la classe moyenne et l’oligar chie capitaliste. Qu’on étudie avec soin le tableau que j’ai reproduit : on verra que dès qu’on s’élève au-dessus de 50,000 fr., on pénètre pour ainsi dire dans une autre sphère. Tandis qu’entre 10,000 francs et 50,000, il y a 39,000 successions déclarées, le nombre des successions déclarées tombe tout à coup à 6,964 pour les successions entre 50,000 et 100,000. Ainsi, c’est un peu au delà de 50,000 francs que passe la ligne de faîte, la ligne de partage qui sépare l’immense majorité des citoyens de la pe tite minorité bourgeoise et capitaliste. Jusqu’à 50,000 francs, il y a 349,000 suc cessions déclarées. Au-dessus de 50,000 fr., il n’y en a que 13,727. Les premières for ment un total de 1 milliard 698 millions. Les secondes forment un total de 3 mil liards 74 millions. Donc, on a beau adjoindre au proléta riat toute la petite bourgeoisie et toute la démocratie paysanne, cet énorme bloc ne fournit guère que la moitié des sommes fournies par la bourgeoisie moyenne et haute, qui n’est qu’une infime minorité. Les vingt-neuf trentièmes de la nation possèdent aujourd’hui un total de 60 mil liards. Un trentième de la nation possède 90 milliards. Ainsi, même l’intervention de la nombreuse et puissante catégorie des petits bourgeois et des paysans pro priétaires ne snffit pas à masquer, par un semblant d’équilibre général, le déséqui libre violent dont souffre le prolétariat. C’est contre le système capitaliste une charge terrible. Mais j’ai à déduire d’au tres conséquences. JEAN JAURÈS....
À propos
La Petite République française – puis socialiste de 1898 à 1905 – fut une feuille républicaine à cinq centimes lancée en 1876 qui connut un succès relatif dans les premières années de la Troisième République. Satellite de La République française de Gambetta, les deux publications deviennent indépendantes en 1878 avant que la diffusion du journal ne s’amenuise à la mort de ce dernier en 1882.
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