Extrait du journal
Paris* lO décembre. Si la chambre de 1837 représente fidèlement l'opinion du pays, comme on a lieu de le croire, et si elle s'applique sérieusement à lui donner satisfaction, comme elle le doit, on peut affirmer d'avance qu'elle trompera les calculs, les intrigues et les ambitions des partis. Le pays est fatigué des théories politiques ; il l'est plus encore des tracasseries parlementaires ; il s'occupe d'affaires positives, et demandé que le gouvernement s'en occupe à son tour. Ce n'est pas ici, qu'on y prenne garde, une opinion imaginée à plaisir ; nous n'inventons point une France de fantaisie pour lui faire dire ce que la véritable France ne dit pas ; nous exprimons ce que veut réellement l'esprit public, et chacun s'en convaincra aisément, pourvu qu'il y mette un peu d'attention et de bonne foi. Parcourez le pays dans tous les sens; interrogez les différentes classes de citoyens: qu'entandrez-vous répéter de toutes parts? On vous dira qu'il est bien temps d'en finir avec les brillantes passesd'armes de la tribune et les disputes de portefeuilles; que le gouver nement représentatif n'est pas institué pour fournir le texte d'intermi nables harangues, qui excitent des haines et soulèvent des passions, sans apporter aucun profit au bien-être général, ni même à notre édu cation constitutionnelle; que le moment est venu de remplacer toutes ces discussions stériles par des questions de fait > et que la meilleure chambre sera celle où l'on fera peu de grandes phrases et beaucoup de bonnes lois sur les intérêts positifs. On voas dira que le pays s'in quiète médiocrement de la personne des hommes du pouvoir, et qu'il se plaint avec raison de tout changement de ministère, quand il n'im plique pas un changement de principes, quand il n'a de signification et de valeur que pour la coterie qui entre au conseil. On vous dira que la France ne veut plus donner au monde le triste spectacle d'une mo bilité perpétuelle ; qu'il lui déplaît d'essayer davantage à ses dépens toutes les formes sociales imaginables ; qu'elle ne se soucie pas de re commencer chaque jour l'épreuve d'un nouveau système politique, et qu'elle a payé assez cher le droit de se reposer enfin dans l'établisse ment de juillet, . Voulez-vous avoir une preuve encore plus frappante de ce dégoût universel pour les théories qu'on nomme gouvernementales et de cette soif de repos? Cherchez quels sont les entretiens habituels des citoyens, nous ne disons pas dans quelques salons et dans les bureaux de quel ques journalistes de Paris, mais dans la'masse delà nation, parmi les propriétaires, les commerçaas, les rentiers, les artisan*. De l'abon dance du cœur la bouche, -parle, a dit une voix qui doit faire au torité en toutes choses. Si les esprits sont fortement préoccupés de politique, il est clair que les conversations en seront remplie*. On l'a vu en d'autres temps, tout le monde raisonnait ou déraisonnait sur les questions de politique ; deux amis ne pouvaient s'aborder sans enta mer aussitôt le chapitre de la politique; le médecin parlait politique à son malade, le client à son avocat, et même le créancier à son débi teur; c'était, en un mot, un besoin, une passion, une manie, une fiè vre de politique qui s'introduisait partout, dominait tout, s'emparait de tout et de tous. A ces signes, on pouvait reconnaître que les discus sions politiques tenaient la première place dans le cœur des citoyens. Tels nous étions en 1829, sous le ministère du prince de Polignac; tels nous avons été dans les premières années de la révolution de 1830. Mais en sommes-nous encore là aujourd'hui? Pas le moins du monde. A peine quelques mots de politique, mots vagues, froids, pro noncés avec indifférence, bien vite abandonnés par ennui, et tout est dit. Nous comprenons à merveille que ceux qui aspirent à être minis tres, ainsi que leurs amis, leurs prôneurs, leurs flatteurs, leurs gens à la suite, s'échauffent sur les affaires politiques, èt s'en entretiennent avec passion ; il y a là un intérêt de cœur pour eux, et cette exception même confirme la maxime que nous avons citée. Mais il ne s'agit pas en ce moment d'une poignée d'hommes plus ou moins considérables, plus ou moins distingués; il s'agit de caractériser l'esprit qui anime Ja nation à l'heure qu'il est. Or, cet esprit est décidément contraire aux. querelles politiques ; on est rassasié; on ne s'y intéresse plus'; on n'en parle plus. Le propriétaire parle de chemins de fer; l'industriel, de bateaux i vapeur et de droits sur la houille ; le commerçant, de nouveaux moyens de communications ; l'agent de change ou le ren tier, de la conversion des rentes; l'homme lettré, de l'instruction pri maire ou secondaire ; chacun enfin parle d'intérêts moraux et maté...
À propos
La Presse, fondé en 1836 par Émile de Girardin, fut l’un des premiers grands quotidiens populaires français.
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